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FOLIO DU BLANC-MESNIL
11 juin 2020

Malgré le Covid, la santé environnementale reste aux oubliettes. Article de Reporterre

arbre 1

9 juin 2020 Gaspard d’Allens (Reporterre)

     

Le lien entre santé et environnement est apparu au grand jour à l’occasion de la pandémie du Covid-19. Pourtant, les autorités sanitaires se désintéressent des questions de prévention et de santé environnementale, parents pauvres des politiques publiques.


Le Premier ministre, Édouard Philippe, a lancé en grande pompe le 25 mai dernier le « Ségur de la santé » : un mois de concertation pour tirer le bilan de la crise sanitaire. L’objectif est ambitieux, il s’agit rien de moins que de « bâtir les fondations d’un système de santé encore plus moderne, plus résilient, plus innovant, plus souple ». Mais l’exercice semble déjà mis à mal. Le syndicat Sud Santé a quitté la table des négociations une semaine seulement après sa création et des collectifs de soignants appellent déjà à une mobilisation dans la rue le 16 juin.

En outre, les associations écologistes déplorent « le périmètre restreint des concertations »« Le gouvernement se focalise sur la refonte du système de soin mais ne prend pas en compte les mesures liées à la prévention et à la santé environnementale, regrette François Veillerette, porte-parole de l’association Générations futures. Pourtant, elles sont indispensables pour comprendre la crise que nous traversons. »

Le Covid-19 aura, en effet, révélé le lien intime entre environnement et santé. Non seulement sa propagation est directement issue de la dégradation des écosystèmes mais il a aussi prospéré sur les maux de notre époque. L’obésité, le diabète et les cancers ont été des facteurs aggravants de l’épidémie. L’hôpital a craqué sous la déferlante d’une population déjà fragilisée par des maladies causées par notre mode de vie, l’alimentation industrielle et la pollution.

Les liens entre l’environnement et ce type de pathologies ne sont plus à démontrer 

On compte, en France, selon les derniers chiffres de la Caisse nationale d’assurance maladie, 20 millions de malades chroniques dont 10,7 millions de personnes classées en « affections de longue durée » ( ALD). L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que 14 % de la mortalité dans notre pays est d’ores et déjà due à des causes environnementales, soit environ 84.000 morts par an. Pour un homme, le risque de développer un cancer approche aujourd’hui 2 chances sur 3.

« Ce n’est pas seulement l’effet du vieillissement. C’est la conséquence des changements environnementaux, défend le toxicologue André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé. On aurait pu espérer que la crise actuelle, en révélant notre vulnérabilité, provoque un sursaut mais cela ne semble pas être le cas, se désole-t-il. Le gouvernement n’a pas changé de logiciel et les politiques de santé environnementale sont au point mort. »

Cette situation frise « l’hypocrisie » selon le toxicologue. La France a signé deux résolutions à l’Assemblée générale de l’ONUen 2011 puis en septembre 2018, pour lutter contre « l’épidémie de maladies chroniques ». À New York, devant un parterre de diplomates du monde entier, le gouvernement français s’était engagé, il y a deux ans, à réduire la mortalité par maladies chroniques de 30 % d’ici 2030, et à arrêter la progression de l’obésité et du diabète.

Les liens entre l’environnement et ce type de pathologies ne sont plus à démontrer. Une multitude d’études scientifiques a étayé l’action délétère des pollutions environnementales sur notre santé. La pollution atmosphérique accroît les maladies respiratoires, l’asthme et les problèmes cardiovasculaires. Les perturbateurs endocriniens, pendant la grossesse induisent des pathologies chroniques à l’âge adulte. Ils expliqueraient selon des chercheurs étasuniens l’explosion fulgurante des cas d’autisme (aux États-Unis, 1 enfant sur 5.000 en 1975, 1 enfant sur 45 aujourd’hui). L’obésité et le diabète sont aussi en partie liée à l’alimentation ultratransformée et à l’exposition aux pesticides. Tant que ces causes ne seront pas stoppées, ces maladies continueront de se développer.

Dès 2008, Richard Horton, rédacteur en chef de la revue médicale The Lancet, le prédisait :

Sans une action politique concertée et coordonnée, les progrès accomplis dans la lutte contre les maladies infectieuses seront réduits à néant lorsqu’une nouvelle vague de maladies évitables engloutira les plus vulnérables ».

Nous y sommes. Mais la crise n’a pas pour autant permis de prise de conscience de la part des autorités. Dans le budget total de la santé, la prévention ne dépasse pas 1 %. Le dépistage 0,5 %. L’association France Nature Environnement parle de « carence chronique de prévention ». Le plan cancer, qui s’est arrêté en 2019, ne comportait pas de volet environnemental. La stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens manquait cruellement de financement. Alors qu’une partie des maladies chroniques est liée aux facteurs d’expositions durant la petite enfance, la protection maternelle et infantile a également perdu 25 % de son budget en dix ans.

« Le prix de l’inaction est colossal » 

On pourrait énumérer ainsi nombre de politiques publiques. La stratégie nationale de santé 2018-2022, planifiée par l’ex-ministre Agnès Buzyn, délaisse tout autant les enjeux environnementaux. Dans ce document d’une centaine de pages, la promotion d’une alimentation saine n’occupe qu’une demi-page. La réduction de l’exposition aux pollutions extérieures et aux substances nocives pour la santé ? Deux pages. La pollution de l’air y est à peine mentionnée. Alors que 48.000 personnes meurent chaque année par sa faute et que son coût est évalué dans un rapport sénatorial entre 70 et 100 milliards d’euros. « Le prix de l’inaction est colossal, souligne Alain Chabrolle, vice-président de France Nature Environnement. Concernant la pollution de l’air, le gouvernement est plus préoccupé par les menaces de sanction de l’Union européenne que par le problème de santé publique. »

L’entrée principale du ministère des Affaires sociales et de la Santé, avenue Duquesne, dans le 7e arrondissement de Paris.

Comment expliquer cette situation ? Pourquoi la santé environnementale est-elle passée aux oubliettes ? Au-delà de la pression des industriels, de la FNSEA [le syndicat agricole majoritaire] ou du secteur automobile pour éviter un surcroît de normes contraignantes, les associations écologistes dénoncent aussi « le formatage des médecins » et critiquent « notre modèle biomédical », où « l’on ne s’attaque pas aux causes mais aux symptômes et où les maladies arrivent sans qu’on les explique, décrit le toxicologue André Cicolella. Le cancer a progressé de façon considérable depuis 40 ans, et on attend toujours le médicament miracle qui va nous sauver ! Avec cette logique-là, on est partis pour encore un moment. »

Dans les universités, les enjeux de santé environnementale sont rarement pris en compte. « Le sujet des perturbateurs endocriniens n’est pas venu des facs de médecine mais de l’extérieur », observe l’eurodéputée Michèle Rivasi. Il faudrait, selon elle, « décloisonner la santé », ouvrir les formations et les cursus académiques, apporter une autre voix. Selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales,98 % de la formation continue des médecins est assurée par les labos pharmaceutiques« On imagine bien que leur priorité n’est pas de remettre en cause ce système », souligne, amère, l’eurodéputée.

À défaut de s’attaquer aux facteurs environnementaux, les autorités publiques se sont focalisées ces dernières années sur les comportements individuels, avec un certain succès s’agissant du tabagisme et de l’alcoolisme. « Cela peut néanmoins avoir des effets pervers, avertit la docteur en santé publique Sylvie Platel. On laisse primer l’idée que l’individu est seul responsable de son environnement alors qu’il existe aussi des facteurs de risques généraux — qualité de l’air, de l’eau du sol, etc. — qui affectent durablement notre santé et qui sont insuffisamment considérés », dit-elle. « Quand on n’ose pas affronter les lobbies, on culpabilise les consommateurs. C’est une règle générale », affirme Michèle Rivasi.

« La santé environnementale a été marginalisée sous Agnès Buzyn »

La France se targue d’avoir été l’un des premiers pays à lancer un Plan national santé environnement (PNSE). Depuis 2004, ce plan quinquennal est censé piloter et coordonner les politiques publiques sur ces questions d’environnement et de santé. Mais, après 15 ans d’exercice et la mise en place d’un 4e plan, « le bilan est très en deçà de l’urgence sanitaire », juge François Veillerette, de l’association Générations futures.

Même les services de l’État sont sans complaisance. Dans un rapport d’évaluation, le Conseil général de l’environnement et du développement durable écrit que « le pilotage bute sur un manque financier et humain criant ». Au sein de l’administration, beaucoup de fonctionnaires qui travaillaient sur ces questions n’ont pas été remplacés ces dernières années du fait de la diminution des postes au sein de la fonction publique.

Dans un autre rapport, l’Inspection générale des affaires sociales constate aussi que « le Plan national santé environnement organise une action très relative ».

Très peu d’actions visent à diminuer l’exposition aux facteurs nocifs. Les actions sont pour la plupart non quantifiées, que ce soit en termes d’enjeux ou en termes d’objectifs ; elles ne sont pas assorties d’objectifs de résultat ; les moyens d’agir ne sont pas définis ; le plan comporte très peu d’actions visant à instaurer une norme, ne définit pas les moyens de l’incitation ou de la contractualisation, et aucun budget ne lui est associé. »

Avec le passage d’Agnès Buzyn au ministère de la Santé, la dynamique a également pris un coup. « La santé environnementale a été marginalisée, selon Alain Chabrolle. L’équipe d’Agnès Buzyn était complètement hermétique au sujet. » Au cours d’un rendez-vous avec le chef de cabinet de la ministre, le vice-président de France Nature Environnement s’est vu rétorquer que la santé environnementale n’entrait pas dans le champ de compétence du ministère et qu’il fallait plutôt prendre contact avec celui de l’Écologie. « Ils se renvoient la balle et se défaussent de leur responsabilité. »

De fait, il n’y a pas eu de réunion du groupe chargé de préparer le 4e Plan national Santé Environnement depuis juillet 2019. La première action d’Agnès Buzyn a été de supprimer le groupe de travail « santé et biodiversité » au sein de son ministère. Une décision pour le moins anachronique alors que la crise du Covid-19 a révélé l’interrelation entre la destruction de l’environnement et l’apparition de nouveaux virus. Le principe d’assises nationales de la santé environnementale, acté du temps de Nicolas Hulot, a aussi été abandonné.

« Nous partons de loin, estime André Cicolella, mais on n’a pas le choix. Le Covid-19 nous amène à regarder la réalité en face : si nous ne menons pas une révolution de notre système de santé en prenant en compte les facteurs environnementaux, nous serons d’autant plus fragiles à l’avenir. »


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