Extrême droite – « On est en sursis » : des syndicats aux antifas, comment lutter après les législatives
Un répit. Tel est le sentiment partagé par l’ensemble des collectifs, associations et syndicats engagés dans la lutte contre l’extrême droite, après les résultats des législatives, dimanche soir. Mais l’urgence de se remettre au travail sur le terrain a vite repris le dessus. Comment se réorganiser pour ne pas risquer un RN au pouvoir dans un ou trois ans ?
Le grand ouf de soulagement de dimanche soir a été partagé au sein des organisations syndicales de salariés qui ont connu un mois harassant, après la dissolution du 9 juin. « La CGT s’est beaucoup mobilisée durant ces trois semaines », explique Nathalie Bazire. La responsable confédérale chargée des questions liées à l’extrême droite est satisfaite que son syndicat ait participé à changer le cours des choses. Mais il ne s’agit pas de baisser la garde au lendemain des élections. « On est en sursis », prévient-elle, lucide sur la force du Rassemblement national.
La victoire du Nouveau Front populaire (NFP) en nombre de sièges (182) ne doit pas faire oublier que l’extrême droite progresse. Et pas seulement à l’Assemblée où elle envoie 143 députés au lieu de 89 en 2022. Si l’alliance du Rassemblement national et des ciottistes n’arrive que troisième en nombre de sièges pour le second tour des législatives, elle reste première en nombre de voix. Sur les 500 circonscriptions où un second tour a eu lieu, l’extrême droite obtient 10,1 millions de votes (37,46 % des suffrages exprimés), dont 8,7 pour les candidats RN. Devant le Nouveau Front populaire qui enregistre 7 millions de voix, puis la minorité présidentielle avec 6,3 millions de voix.
Être passé si près de la catastrophe « pose plein de questions », estime Benoît Teste, le secrétaire général de la FSU. Un point de vue partagé par Murielle Guilbert. « C’est un moment qui restera très marquant. Beaucoup de camarades se disent qu’on ne pourra pas refaire du syndicalisme comme avant. Il faut que cela serve à de nouveaux questionnements. », assure la co-porte-parole nationale de Solidaires dont le comité national se réunit aujourd’hui. Son ancien binôme à la tête de l’Union, Simon Duteil, ne dit pas autre chose. Il évoque, dans un billet de blog publié sur Mediapart, une grande « responsabilité du syndicalisme […] pour faire reculer la haine et empêcher la prise de pouvoir de l’extrême droite ».
« Le premier barrage à l’extrême droite, c’est l’organisation collective des travailleuses et travailleurs »
Mais que faire ? « Nous allons continuer à travailler sur l’imposture sociale du Rassemblement national sur les salaires, les droits des femmes ou le droit de grève », expose Nathalie Bazire de la CGT. Du matériel sera disponible à la rentrée et les formations pour armer ses militants seront renforcées. En parallèle, une campagne de syndicalisation va être lancée pour amplifier les adhésions déjà nombreuses depuis le 9 juin, assure la syndicaliste. Le chantier reste colossal, puisque de très nombreux salariés ne disposent d’aucune structure syndicale dans leur entreprise.
Mais même là où elles existent, tout n’est pas toujours simple. Le vote RN est en tête chez les ouvriers et les employés qui se déplacent aux urnes. Ainsi, le discours syndical contre l’extrême droite n’a pas toujours été facile à diffuser dans les entreprises, admet Murielle Guilbert. Pour plusieurs syndicats, la lutte contre le racisme doit redevenir une priorité. Pour ce faire, la CGT compte muscler les formations à destination de ses adhérents et engager un travail antiraciste au plus près des lieux de travail. De son côté, la FSU réfléchit à comment « élargir le combat antiraciste pour qu’il ne soit pas minoritaire, explique Benoît Teste. « En tant qu’éducateur nous avons un rôle spécifique à jouer, car on a l’habitude de traiter ces sujets sur le fond. Nous sommes au contact de la jeunesse où l’on voit le racisme se développer et nous devons ancrer notre travail dans l’éducation, en essayant de montrer tout le mal et les divisions que cela produit dans nos métiers ».
Réunion ce soir des huit organisations syndicales
La première des urgences pour les syndicats : voir leurs exigences sociales – formulées dès le lendemain de la dissolution – appliquées au plus vite. Notamment l’abrogation de la réforme des retraites, de l’assurance chômage et l’augmentation des salaires. Pour eux, gagner sur les retraites serait la meilleure arme anti-RN, puisque l’extrême droite capitalise sur la colère sociale. De plus, cela montrerait que l’immense mobilisation de l’an dernier a un impact, même en différé. Certaines exigences syndicales, intégrées dans le programme du Nouveau Front populaire, seront à l’ordre du jour d’une réunion des numéros un des huit organisations syndicales composant l’intersyndicale retraite, ce mardi soir.
Or, les conséquences du scrutin et les possibilités de voir ces attentes satisfaites restent très incertaines. Certes, le NFP détient le plus grand nombre de députés et peut prétendre à gouverner, mais il lui manque plus de 100 sièges pour atteindre une majorité absolue lui permettant de ne pas être à la merci d’une motion de censure votée par 289 députés de différents bords qui ferait tomber son gouvernement. En face, Ensemble obtient 168 sièges et affronte les mêmes difficultés, même s’ils parvenaient à embarquer les 46 députés LR non ciottistes. Enfin, avec 143 sièges, il manque 146 députés au RN pour atteindre une majorité absolue.
Dans ces conditions, de nombreuses combinaisons peuvent être testées dans les jours et les semaines qui viennent. Jusqu’à un gouvernement dit « technique », c’est à dire composé de ministres sans affiliation politique pour gérer les affaires courantes et mener quelques réformes consensuelles votées avec le soutien au cas par cas des différentes familles politiques représentées à l’Assemblée nationale. Ou même une nouvelle dissolution de l’Assemblée dans un an au plus tôt.
« Un front antiraciste et antifasciste se constitue »
De son côté, la société civile ne compte pas attendre d’y voir plus clair dans le jeu des alliances et des compromis pour organiser la suite. Ce mercredi, un grand meeting intitulé « Après le 7 juillet, que faire ? » réunira des collectifs antiracistes et écologistes à Pantin (Seine-Saint-Denis). Avec une palette très diverse, allant de la Confédération Paysanne à l’AFA Paris-Banlieue en passant par les Soulèvements de la Terre). Ces derniers entendent mettre la question antifasciste au centre de leur action dans les années à venir. Dans leur récent communiqué « Pour un soulèvement antifasciste », ils se fixent un nouvel objectif : « construire une campagne d’actions contre le groupe Bolloré, acteur majeur de la logistique néo-coloniale extractiviste dont les bénéfices servent à renforcer l’hégémonie culturelle néo-fasciste à travers son empire médiatique ».
Dans ce meeting, on retrouvera également l’Union juive française pour la paix, dont l’un des porte-parole, Pierre Stambul, invite à « ne pas mettre la question palestinienne entre parenthèses » au cours des prochaines semaines de tractations politiques. « Bien que tout le monde ne soit pas d’accord au sein du NFP, il faut que la France fasse a minima comme l’Espagne et l’Irlande et reconnaisse l’État palestinien. Il faut aussi un cessez-le-feu à Gaza, l’arrêt des livraisons d’armes vers Israël, et cesser cette stupidité sans nom qui consiste à accuser la gauche d’antisémitisme, alors que l’antisémitisme a toujours été l’apanage de la droite et de l’extrême droite », insiste Pierre Stambul. À ses yeux, « la montée du fascisme en Israël et en France est étroitement liée : il y a une bataille idéologique à poursuivre » dans les prochains mois.
Le 14 juillet aussi, une manifestation réunira la Marche des solidarités, des collectifs de sans-papiers, Urgence Palestine et des collectifs Solidarité Kanaky. Celle-ci se veut un « point d’appui pour une riposte à la hauteur du moment politique. Contre le fascisme, le racisme, le colonialisme », soutient Mathieu Pastor, co-organisateur de la Marche des solidarités. Ces dernières semaines, face au risque d’accession au pouvoir du RN, des rapprochements se sont faits entre ces différents collectifs. « Il y a un front antiraciste, anticolonialiste et antifasciste qui se constitue », là où jusqu’ici, il s’agissait « d’ébauches de rapprochements », se satisfait Mathieu Pastor. Si les résultats d’hier sont une « bonne surprise », que le militant attribue à ces dynamiques inédites dans la société civile, « il ne faut surtout pas dire que c’est terminé ; mais s’appuyer sur ce qui s’est construit ces dernières semaines ».
« Je suis dans un village rural, au milieu de l’extrême droite, qu’est ce que je peux faire ? »
Du côté des organisations féministes, le collectif « Indivisibles », réunissant plusieurs figures féministes, dont Caroline De Haas, invite à un meeting en ligne jeudi soir pour « faire bloc et préparer la suite ensemble ». Avec des enjeux très politiques : « le prochain objectif, c’est de gouverner. Puis, c’est l’Elysée ». Au-delà des enjeux politiciens, des collectifs font grossir le rapport de forces sur le terrain face à la montée des idées réactionnaires. En Gironde, une Assemblée féministe réunit associations, collectifs et citoyennes. « Malgré la peur, beaucoup de nouvelles personnes nous ont rejoints ces dernières semaines. Elles ont passé le cap du “je subis” au “j’agis”. Tout le monde a voulu participer à son échelle aux discussions, aux tractages », souligne Pauline Moszkowski-Ouargli, chargée de communication du Planning Familial de la Gironde, membre de cette Assemblée. Ce mardi soir, l’Assemblée se réunira avec un objectif clair : « faire en sorte que ces gens qui ont passé le cap pérennisent leur engagement. Que ce soit dans l’associatif, le syndicalisme… »
Parmi les nouvelles forces vives, certaines sont arrivées pour rompre un sentiment d’isolement militant : « je suis une meuf lesbienne, dans un village rural, au milieu des fafs durs, qu’est ce que je peux faire ? », cite Pauline Moszkowski-Ouargli. Pour la salariée du Planning familial – qui dispose d’une antenne dans le sud rural du département -, maintenir la présence d’espaces féministes dans ces territoires va être un enjeu central pour contrer l’extrême droite.
Le Rassemblement national fait en effet miroiter aux habitants de ces territoires une certaine vision de la ruralité. Dans le cadre des élections ces dernières semaines, la Confédération Paysanne a passé au crible les promesses et les votes du RN. « Ils promeuvent sur les réseaux sociaux et les médias un imaginaire d’une campagne préservée. Alors que quand on creuse : ils ont voté contre des prix planchers pour garantir des revenus aux agriculteurs. Ils sont pour le développement des produits phytosanitaires. Ils veulent assouplir la loi zéro artificialisation nette… Ce qui signifiera des paysages saccagés », explique Florent Sebban, maraîcher dans l’Essonne et membre de « la Conf ». Lors du porte-à-porte ces dernières semaines, dans son village où un habitant sur deux est acquis au RN, ces arguments ont fait mouche. « On veut absolument que ça continue. Pour faire avancer dans les prochains mois une vision de la ruralité qui préserve vraiment la santé des habitants et le travail des paysans. »
Les organisations antifascistes préparent la suite
Toujours en territoire rural, en Mayenne, la Garde antifasciste 53 a accueilli l’arrivée d’un nouveau groupe antifasciste constitué de jeunes habitants du territoire lors de la campagne des législatives. « Nous avons créé du lien entre ces nouveaux militants de la jeunesse mayennaise et les organisations syndicales et politiques existantes avec lesquelles nous sommes en contact. L’objectif c’est que leur engagement puisse durer au-delà de l’échéance électorale », confie son porte-parole. Pour que la mobilisation perdure, l’organisation entend jouer pleinement son rôle de transmission. « Notre boulot, c’est la bataille culturelle, avec des manifestations, des collages, des interventions dans la presse ou encore le travail de veille sur l’extrême droite locale. Tout ça s’apprend et se transmet. Cela nous a permis de faire remonter des dossiers sur les candidats RN, lors de la campagne, par exemple sur Annie Bell, la candidate preneuse d’otage. »
Pour la Jeune Garde (JG), autre organisation antifasciste implantée dans plusieurs villes (Lyon, Paris, Montpellier, Lille, Aix-en-Provence et Marseille), la période électorale, dans laquelle elle s’est investie pleinement aux côtés du NFP, a aussi été l’occasion de se renforcer et de gagner en implantation. « On est allé au contact de la jeunesse, notamment dans les quartiers populaires où il n’y a pas grand monde. À Strasbourg, on a collé dans tous les quartiers : désormais, beaucoup d’habitants nous reconnaissent et nous parlent rapidement de politique », raconte Cem, porte-parole de la JG.
Photo : Serge D’ignazio
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