Lettres d'amérique de Ségolène Royal 5
Chères amies, chers amis,
<>Mon voyage en Amérique s'est achevé aujourd'hui. Une
nouvelle
ère a débuté, le changement est en marche. Barack Obama a pris une
décision symbolique, la première : comme il l'avait promis, la prison de
Guantanamo sera fermée d'ici un an. L'Amérique est fière à
nouveau, fière du visage qu'elle offre au monde.
En quittant Washington, en dialoguant à l'aéroport avec
des
Américains, je sens une confiance nouvelle, dénuée d'arrogance. Je
mesure la
force tranquille que donne la volonté de renouer avec un destin
collectif. Un pays
divisé est un pays affaibli, nerveux, aux aguets, perméable aux
tentations violentes.
Un pays uni est fort, capable de surmonter les épreuves sans chercher à en
imposer aux autres.
Les
réunions de travail que j'ai eues mercredi m'ont confirmé la
volonté de changement et de résultats des nouvelles équipes en place.
Au
Sénat, je me suis entretenu avec Amy Klobuchar, une jeune sénatrice du
Minnesota, étoile montante du Parti démocrate et spécialiste des
questions environnementales. Signe encourageant, elle souhaite qu'à Copenhague l'année
prochaine, un accord soit enfin signé par tous les grands pays émetteurs de
gaz à effet de serre, au premier rang desquels les Etats-Unis et la Chine.
Elle s'est montrée par ailleurs confiante sur les chances
de bonne
entente et de coopération entre la Maison blanche et le Sénat, tout
accord
international de cette envergure devant être ratifié par la "Chambre des Etats". Le fait que Barack Obama et Joe Biden en soient issus (pour la
première fois depuis l'époque Kennedy/Johnson) explique cet optimisme.
Nous avons évoqué les réticences de l'industrie
automobile américaine à changer ses habitudes. La demande a
évolué, les familles durement touchées par la crise préfèrent
désormais des voitures plus économes en carburant. Mais l'offre américaine n'a
pas su s'adapter, avec pour conséquence la crise majeure que traversent des
géants comme General Motors.
Pour toutes les entreprises automobiles qui cherchent à
modifier leurs
gammes de voitures en faveur de plus petites cylindrées, Amy Klobuchar
propose de mettre en
place, à titre transitoire, des compensations financières. Idée
pertinente à étudier : la relance de l'économie et
l'avènement d'un nouveau modèle de développement respectueux de
l'environnement sont plus que jamais liés.
Au Congrès, j'ai eu également une réunion avec
James Oberstar, président de la Commission des Transports à la Chambre des
Représentants. Personnage très chaleureux, James Oberstar est par ailleurs
francophile. Il m'a remis en détail la partie "investissement" du plan de relance, Etat par Etat, dépense par dépense.
Le montant global du plan Obama est de 800 milliards de dollars sur deux
ans, soit 3% du PIB chaque année. Le stimulus sur l'économie
américaine est considérable, grâce notamment à un crédit
d'impôt de 1000 dollars par an qui touchera 150 millions d'Américains. 85 milliards de
dollars concernent les seuls investissements en infrastructures, avec un volet environnemental
important :
- 30,25 milliards pour les autoroutes et les ponts (l'engorgement du trafic conduisant à une hausse très importante de la quantité d'essence consommée) ;
- 12 pour les transports en commun ;
- 5 pour les voies ferroviaires ;
- 5,25 pour l'aviation ;
- 14,275 pour les infrastructures vertes (assainissement de l'eau par exemple) ;
- 7 pour l'ingénierie des corps d'armée américaine ;
- 10 milliards pour les constructions fédérales ;
- 400 millions consacrés à l'administration du développement économique ;
- 734 millions pour les gardes-côtes ;
- 55 millions pour l'administration maritime ;
- 45 millions pour le Saint-Laurent.
C'est donc un programme de
modernisation sans précédent depuis le New Deal de Roosevelt en 1932
qui sera adopté dans les prochains jours. Peut-être pourra-t-il servir
à acheter les TGV qui font si cruellement défaut aux Etats-Unis ! James Obestar
soulignant le besoin d'équipements en trains à grande vitesse, je lui ai en tout cas
suggéré d'acheter la technologie française développée par Alstom
!
A la FED, la banque centrale américaine, j'ai eu un
entretien avec le
Gouverneur Warsh, un des quatre membres du Board. Entretien d'une grande franchise,
révélateur d'un changement d'état d'esprit. Interrogé sur l'origine de
la crise financière, le gouverneur a eu des mots durs à l'égard des
institutions chargées de la régulation financière, parlant même de
"paresse" et de "complaisance". Lucidité
salutaire, qui devrait rendre possible de nouvelles pratiques.
La journée de mercredi, consacrée aux problèmes financiers, économiques et environnementaux s'est achevée par un déplacement au Lincoln Memorial. Pour Barack Obama, Abraham Lincoln est le président capital de l'histoire américaine : c'est lui qui a eu le courage d'abolir l'esclavage le 1er janvier 1863 ; lui aussi qui a eu la force d'âme de prôner sans relâche l'unité de la nation.
Au centre de ce lieu de mémoire trône la statue majestueuse de Lincoln, devant laquelle Martin Luther King prononça en 1963 son célèbre "I have a dream" . Et à côté, gravée dans le marbre, l'adresse qu'il prononça à Gettysburg, avec cette formule lapidaire qui offre la plus belle définition de la démocratie : "Un gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple".
Amicalement,
Ségolène Royal