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FOLIO DU BLANC-MESNIL
15 mars 2024

Le choc des savoirs est une contre-réforme du collège. Philippe Wtrelot

Le choc des savoirs est une contre-réforme du collège

Les fameux groupes de niveau ne sont pas un dispositif isolé. Ils s’inscrivent dans un ensemble plus vaste. Le « choc des savoirs » annoncé par Gabriel Attal le 5 décembre 2023 et que Nicole Belloubet va devoir appliquer constitue une remise en cause du « Collège unique ».  Volonté délibérée ou juxtaposition de mesures ? Au final, c’est bien une contre-réforme du collège qui est à l’œuvre.

 

Philippe Watrelot (avatar)

Philippe Watrelot

Ancien professeur de Sciences économiques et sociales, formateur, militant pédagogiq
rtager sur X (ex Twitter)

 

Le Choc des savoirs

Gabriel Attal a le sens du timing et de la formule. Dès le 5 octobre, il missionnait une commission pour lui faire des propositions d’amélioration du système scolaire à rendre avant le 5 décembre 2023...
Pourquoi cette date ? Car c’est le jour de la publication des 
résultats de l’enquête PISA. Et c’est donc ce même jour que Gabriel Attal alors Ministre de l’Éducation Nationale a choisi de présenter son « choc des savoirs » Il dramatise et instrumentalise ainsi les résultats de l’étude réalisée par l’OCDE au service d’un plan global touchant le primaire et le secondaire.


« A compter de la rentrée prochaine, les élèves de 6ème et de 5ème seront donc désormais répartis en 3 groupes de niveaux  pour leurs enseignements de français et de mathématiques. Ces groupes seront flexibles et leur dimension adaptée. Des créations de postes permettront de limiter le groupe des élèves les plus en difficulté à une quinzaine d’élèves ». On s’est surtout focalisé sur cette disposition qui suscite beaucoup de réactions aussi bien de la part de ceux (personnels de direction, enseignants) chargés de l’appliquer que de chercheurs qui en montrent les effets pervers. J’ai également contribué à ce débat avec une chronique récente.
Les récentes déclarations de la Ministre dans 
une interview au journal Le Monde, introduisant de la souplesse et une application dérogatoire pour l’année prochaine, ont été ensuite contredites parl’intervention du Premier Ministre sur France5 assurant que ce dispositif sera totalement appliqué. La crise d’autoritarisme de Gabriel Attal rajoute de la confusion et de l’ambigüité dans la mise en œuvre de cette usine à gaz. Mais ce n’est pas le sujet de ce billet.

Car le choc des savoirs comporte bien d’autres mesures qu’il faut énumérer pour prendre conscience des transformations qu’il implique :

Des programmes articulés autour d’objectifs annuels
• Des programmes de mathématiques favorisant une approche concrète et imagée (méthode de Singapour)
• Des manuels labellisés obligatoires en mathématiques et en français
• Un socle commun réorganisé (en 2025) autour de compétences disciplinaires, de compétences psychosociales et de repères de culture générale.
• Doublement de l’horaire d’EMC (rebaptisée “instruction civique”et entièrement réécrite)
• Redoublement décidé “à la main” des enseignants
• Passage conditionnel dans la classe supérieure (tutorat, stage de réussite…)
• Le brevet devient « un véritable examen d'entrée au lycée »
• Mise en place d’une “prépa lycée” pour les élèves ayant échoué au Brevet
• Utilisation de l’IA pour des exercices adaptés aux élèves
• Renforcement des enseignements généraux de mathématiques, de français et d’histoire-géographie dans la voie professionnelle

Avec cette liste de mesures, le gouvernement s’attaque à plusieurs fondements de la politique éducative depuis plusieurs dizaines d’années. C’est le socle commun (introduit en 2005 puis modifié en 2013) qui va faire l’objet d’une refonte qui semble s’orienter vers une restriction. L’organisation en cycles d’enseignement (créés en 1989, modifiée en 2013) qui définissait des objectifs à atteindre en fin d’un cycle de 3 ans est remise en question avec le « retour » du redoublement. Et surtout c’est le principe du collège unique (créé en 1975), déjà bien entamé, qui est fortement remis en question. Un retour cinquante ans en arrière… 

Un peu d’histoire

Puisque l’école à remonter le temps est à la mode, permettons nous quelques souvenirs personnels pour éclairer le débat.

Né à la fin des années 50, j’ai connu les classes non-mixtes, les coups de règles sur les doigts et les leçons de morale ânonnées tous en chœur. Je n’en garde aucune nostalgie. Au début des années 70, je suis allé au CEG. Pendant ce temps d’autres élèves, mieux nés, allaient au « petit lycée » et d’autres avaient fini leur scolarité à la fin du CM2 avec le certificat d’études primaires. Pendant le collège à la fin de la 5ème d’autres élèves nous quittaient pour partir dans le monde professionnel et dans des classes de transition. De ma classe de Primaire de  25 élèves, nous n’étions que 3 à arriver jusqu’au lycée. C’était ça le collège d’avant : des filières distinctes et une sélection précoce.
Une sélection dont j’avais le sentiment qu’elle s’opérait sur des critères sociaux. Les enfants des familles du bas de la ville avaient la « chance » d’aller au « petit lycée » avec des enseignants qui n’étaient pas les mêmes que les nôtres. Quelques élèves particulièrement brillants étaient exfiltrés pour les rejoindre. Mais cela restait minoritaire.

C’est ce système à trois vitesses qui va disparaitre avec la loi Haby du 11 juillet 1975 qui supprime la distinction entre CES et CEG qui deviennent tous des collèges. Tous les élèves entrent désormais en sixième dans un même type d'établissement, le collège, et suivent un enseignement commun jusqu'à la troisième, les filières disparaissant. Et, à la sortie du collège, tous les élèves font l'objet d'une décision d'orientation vers les lycées traditionnels ou d'enseignement professionnel.
La France est l’un des derniers pays européens à mettre en place un tronc commun de formation pour les jeunes de 11 à 15 ans. La réforme se veut une réponse pour accompagner le mouvement de massification et de démocratisation de l’enseignement. Elle ne s’est pas faite sans mal. Le syndicat majoritaire d’enseignants du secondaire, des associations de spécialistes, des politiques y étaient opposés 
pour des raisons diverses : conflit sur le champ de syndicalisation des enseignants entre ceux issus du Primaire (PEGC) et ceux du Secondaire (PLC), défense de certaines disciplines jugées « menacées », crainte d’un abaissement du niveau…

Le collège unique a t-il existé ?

Dès le départ, le collège unique souffre d’un vice de forme. Jean-Paul Delahaye le résume très bien : « Pour accueillir les enfants du peuple dans cet espace réservé à « l’élite », la France a hésité entre deux formules, un « primaire supérieur » ou un « secondaire inférieur ». La solution finalement retenue d’un collège davantage conçu en fonction de son aval, le lycée, que de son amont, l’école primaire, a sans doute permis de vaincre les résistances historiques du secondaire, mais elle n’a probablement pas été le choix le plus judicieux pour tous les élèves.»
Pour le dire autrement on en a fait un petit lycée sans penser suffisamment l’hétérogénéité et sans adapter les contenus ni la pédagogie. Pourtant « unique » ne veut pas dire « uniforme »... !

La massification  aurait pu être une démocratisation scolaire plus efficace si on avait mieux pris en compte la difficulté scolaire autrement qu’en recréant sans le dire des classes de niveau (classes à projet, tri fait sur le choix des langues,…) et donc aussi des classes de relégation. Cela pose aussi la question de la formation des enseignants à la différenciation. Ce qui est une évidence dans le Primaire l’est très peu dans le Secondaire.
La question de l’orientation à l’issue du collège a été elle aussi biaisée. Faute de valoriser les matières techniques et pratiques  dans la formation commune, on a fait de l’orientation dans la voie professionnelle un synonyme d’échec pour la plupart des élèves.
La volonté de démocratisation portée par le Collège unique a été également percutée par la ségrégation spatiale qui s’est accélérée au cours des dernières années. Dans ma banlieue, où j’ai été élève et où j’ai aussi fini ma carrière, j’ai bien vu comment des villes comme Grigny et d’autres se sont vidées de leur classe moyenne et sont devenues des ghettos avec des collèges cumulant les difficultés. Le sort du collège unique est indissociable de celui de la mixité sociale.

Mais malgré tout, près de cinquante après, notre système éducatif est resté sur cet horizon de scolarisation dans un tronc commun d’une population hétérogène. Cela a été renforcé par la politique des cycles qui reconnait qu’on n’avance pas tous au même rythme. Et surtout par le socle commun qui définit ce que nul ne doit ignorer à la fin de la scolarité obligatoire.

Choc des savoirs et menaces sur le collège unique

Pourtant, les critiques n’ont jamais cessé. Certains, y compris parmi les enseignants, refusent l’idée de classes hétérogènes et considèrent même que certains élèves n’ont rien à faire au collège et qu’ils gênent les autres. Ils prônent aussi des solutions comme le préapprentissage et l’orientation précoce, évidemment pour les enfants des autres pas pour les leurs...
On voit ces thèmes ressurgir régulièrement à l’occasion des élections dans les 
programmes des partis politiques. Ils sont aussi présents dans les propositions de certains syndicats conservateurs.

Le projet de « choc des savoirs » ne tombe donc pas du ciel. Il s’appuie sur de vieilles critiques et sur un supposé « bon sens » qui naturalise la difficulté scolaire : « vous comprenez, il y a des élèves qui sont doués et d’autres pas », « il y a aussi une intelligence de la main », « mettons ensemble les élèves qui avancent moins vite, ça permettra de ne pas gêner les autres et de répondre à leurs difficultés ». On notera que dans ces lieux communs, le déterminisme et les inégalités sociales sont souvent niées.
Tout cela aboutit à une remise en cause des principes que nous avons rappelés. Le redoublement remet en question les cycles et la possibilité de soutien. Le couperet du brevet construit une nouvelle sélection. Avec les groupes de niveau, c’est le principe des classes  hétérogènes qui est remis en question. On se prive de la possibilité de la coopération et de l’apprentissage mutuel. C’est aussi le symptôme d’une difficulté d’une partie des enseignants à accepter et gérer l’hétérogénéité des classes et de l’absence de formation dans ce domaine. Le projet Attal engage le collège dans une école à deux (ou trois…) vitesses où les plus faibles sont mis à l’écart pour ne pas gêner les autres.

Illustration 1

Agrandir l’image : Illustration 1

 


Un avis de janvier 2024 du Conseil Supérieur des Programmes va plus loin et prévoit déjà une différenciation des attentes et des contenus selon les groupes ainsi qu’une sélection précoce dès la cinquième. On rejette aussi tout ce qui peut faire sens pour les élèves pour se concentrer sur les « fondamentaux ». De fait, avec ce projet on abandonne l’idée même d’un socle commun. Et on pré-oriente vers l’enseignement professionnel  des élèves à l’issue de la cinquième. On veut aussi transformer les CPE en surveillants généraux. Le Collège devient une immense gare de triage. Comme il y a cinquante ans...

Ce qui est proposé là n’est qu’un avis mais les bases sont là pour aboutir à une contre-réforme du collège.

Contre-réforme ?

Tout cela est-il voulu ? On est prompt aujourd’hui et notamment sur les réseaux sociaux à toujours voir une volonté structurée et un projet cohérent : « Comme par hasard… » « tout cela est voulu…»

Pour ma part j’ai un peu de mal avec ce type de raisonnement qu’on retrouve dans le domaine de l’école avec : la marchandisation de l'école voulue par les GAFAM, les compétences du méchant OCDE, l'abaissement du niveau voulu par ceux qui veulent une main d'œuvre docile,… etc, etc. Ça confine un peu à la théorie du complot...

Si je parle de contre-réforme du collège c’est parce qu’il y a des mesures qui, au final, "font système" et peuvent aboutir à une remise en cause du Collège unique. Qu'il y ait une idéologie et un contexte général, nul ne peut le nier. Mais peut-on pour autant attribuer à une politique globale et cohérente ce qui relève pour une bonne part d'un ensemble plus confus et pas forcément aussi structuré ?
Car il est difficile de départager entre coups de comm’ et stratégie globale. Ces mesures sont prises dans un contexte et une idéologie favorables à la sélection et perméable à une certaine démagogie populiste. Elles sont autant le produit des circonstances que d'une volonté clairement établie.

Mais, au final, ce débat est secondaire et ne doit pas empêcher de se mobiliser. Car ce « projet » ou cet ensemble de mesures ne sont pas juste une question technique. La pédagogie c’est éminemment politique !
Veut-on d’une société qui écarte les plus faibles et qui installe encore plus la ségrégation sociale ? Le tri sélectif ça ne devrait pas être pour les élèves !

Illustration 2

Agrandir l’image : Illustration 2

 

 Scolariser ensemble pour faire société

La remise en cause du collège unique me fait penser à cette expression américaine  (à propos de l’immigration): « le dernier arrivé ferme la porte ». Ici, tout se passe comme si les classes moyennes qui ont profité de la massification et d’une certaine démocratisation scolaire avaient la tentation de refermer la porte derrière eux. «  Les « gueux », les moins favorisés, les nouvellement arrivés, les plus pauvres, ceux qui sont en situation de handicap, tous ceux qui ont des difficultés avec l’apprentissage ou qui n’en voient pas le sens, restez à l’écart... Vous allez nous gêner...»

La mixité sociale est aujourd’hui bien malmenée. L’École n’est qu’un des aspects de la ségrégation qu’on retrouve aussi dans nos villes. Rappelons que les ghettos les plus « efficaces » sont les ghettos de riches... L’épisode Oudéa-Castera a permis de le rappeler.
On peut être tenté de dire que cette question est secondaire et que ce qui importe c’est que tout le monde apprenne même si c’est séparément et que la sélection et l'élitisme sont de bonnes choses.
Mais la fonction de l’École n’est pas seulement l’instruction. Dès sa création, l’enjeu de l’École Républicaine est de « faire nation ». Comment faire société quand on n’apprend pas ensemble et qu’on ne vit pas ensemble ?
Le « choc des savoirs » peut aboutir au chaos et à la fragmentation de la société...

Philippe Watrelot

 

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