Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
FOLIO DU BLANC-MESNIL
31 octobre 2023

Railcoop, un cas d’école des difficultés à financer l’ESS Alternatives Economiques

timothée duvergerr

Timothée DuvergerIngénieur de recherche à Sciences Po Bordeaux, responsable de la Chaire Territoires de l’ESS (TerrESS

Placée en redressement judiciaire avec une période d’observation de six mois, Railcoop vient d’éviter la liquidation. Fortement médiatisée, notamment grâce au coup de projecteur de l’émission Envoyé spécial « Le train de leurs rêves » en janvier 2021, cette Société coopérative d’intérêt collectif (Scic) est parvenue à réunir plus de 14 000 sociétaires, composés de citoyens, d’entreprises, d’associations, de salariés et de collectivités, dans son « aventure ferroviaire ».

Afin de revitaliser les territoires ruraux et décarboner les mobilités, Railcoop souhaite rouvrir aux voyageurs la ligne transversale Bordeaux-Lyon et développer le fret ferroviaire. La coopérative a profité pour cela de l’ouverture du rail à la concurrence en décembre 2020, sur le modèle d’Enercoop sur le marché de l’énergie quinze ans plus tôt. Les deux entreprises participent aujourd’hui au mouvement des Licoornes qui a pour ambition de construire un « système économique entièrement coopératif. »

C’est dans ce contexte qu’il faut lire le récent article du quotidien Les Echos émettant des doutes sur la capacité de l’économie sociale et solidaire (ESS) à attirer des investisseurs sauf à renier ses valeurs, comme le laissent craindre les négociations en cours entre Railcoop et le fonds d’investissement espagnol Serena Partners qui ont déjà entraîné des dissensions au sein du conseil d’administration de la Scic.

On retrouve à cette occasion un vieux soupçon pesant sur les modèles coopératifs, dont l’économiste libéral Paul Leroy-Beaulieu s’était par exemple fait l’écho à la fin XIXe siècle : « Les sociétés coopératives de production ou meurent ou se pervertissent, c’est-à-dire se transforment en n’ayant plus rien de coopératif que le nom ».

Le cas de Railcoop est plus complexe. Au-delà de problèmes de gestion indéniables, ses difficultés sont liées à la place de l’Etat dans les services publics, à la nature spécifique de l’activité ferroviaire qui demande d’importants capitaux, et à la résistance qu’oppose la SNCF à l’arrivée de concurrents. En trois ans, seules les compagnies italienne Trenitalia et espagnole Renfe sont parvenues à lancer respectivement une ligne Paris-Lyon-Milan et une liaison Lyon-Barcelone.

Railcoop assure par ailleurs qu’il a été difficile d’obtenir des sillons de circulation auprès de SNCF Réseau, alors même que la SCIC veut construire un « service public coopératif » s’inscrivant en complémentarité de l’offre existante. La fragilité du modèle économique de Railcoop et le turn-over de ses salariés provenant de l’instabilité de sa direction sont certes des points de vulnérabilité, mais ils ont été accentués par ce contexte.

Force et faiblesse de la domestication de la finance par l’ESS

Plus globalement, la situation de la coopérative ferroviaire interroge sur la capacité à financer l’ESS. À ce sujet, le mouvement des Licoornes vient de lancer un appel visant à attirer 1 milliard d’euros dans un fonds citoyen consacré à la transition écologique et sociale, afin de constituer une alternative à l’investissement capitaliste.

La philosophie de ce fonds – et d’autres projets coopératifs – est la suivante : la richesse collective résulte de l’engagement de ses membres et non de l’apport en capital. De cette philosophie naissent des règles : la rémunération des parts sociales est limitée, leur rachat se fait à la valeur nominale de la souscription et la gouvernance, se voulant démocratique, est décorrélée de la détention du capital, de sorte que la coopération parvient à « "domestiquer" l’argent au service de la volonté des sociétaires », selon une formule de Jean-Louis Bancel, ancien président du Crédit coopératif. Ce qui implique d’avoir recours à un « capital très patient », qui n’est pas l’apanage des investisseurs externes.

Si l’inter-coopération a permis jusqu’ici au mouvement coopératif de se développer, l’urgence et l’ampleur de la transition écologique imposent de structurer de nouveaux instruments de financement et pour cela de nouer des alliances avec les pouvoirs publics.

C’est ce que démontre en particulier le scénario 2 de l’Ademe proposant une stratégie de « coopérations territoriales » pour parvenir à la neutralité carbone en 2050. Il prévoit d’impliquer des ONG, des institutions publiques, le secteur privé et la société civile pour lier étroitement la transition écologique et le maintien de la cohésion sociale. C’est un scénario où l’ESS tient un rôle central, alors que les évaluations macroéconomiques en soulignent la triple performance écologique, sociale et économique.

Vers un Etat coopératif ?

Or, le soutien de l’Etat à l’ESS n’est toujours pas à la hauteur. En préparation de l’anniversaire des dix ans de la loi Hamon de 2014, le Conseil supérieur de l’ESS a émis un avis sur son bilan. Côté pile, dans sa présentation, le rapporteur Frédéric Tiberghien considère la loi comme « une avancée majeure pour sécuriser juridiquement la notion d’ESS et permettre sa reconnaissance. » Mais, côté face, il constate que ses objectifs n’ont pas été atteints faute de politiques publiques volontaristes et de moyens à la hauteur de l’ambition de changement d’échelle de l’ESS.

Le débat parlementaire actuel autour du budget 2024 confirme cette analyse. Le député (EELV-Nupes) Charles Fournier, au nom de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, a en effet déposé un avis défavorable aux crédits consacrés à l’ESS dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2024.

L’élu dénonce la faiblesse des moyens budgétaires, limités à 22,4 millions d’euros en 2024 (sur 491 milliards d’euros de dépenses de l’Etat au total), le manque de transparence sur les crédits alloués à l’ESS dans le budget général (alors qu’un amendement au PLF 2023 prévoyait la publication régulière d’un rapport du gouvernement sur le sujet) et l’absence de crédits consacrés au soutien du développement durable dans l’ESS.

À l’instar du Conseil supérieur de l’ESS, Charles Fournier plaide pour l’adoption d’une loi de programmation pluriannuelle de l’ESS. Il y ajoute une série de propositions, parmi lesquelles une diffusion de la commande publique et privée responsable, l’intégration d’une mission de soutien à l’ESS au sein de la Banque Publique d’Investissement (BPI), le fléchage de moyens significatifs du plan « France 2030 » vers l’ESS, la création de dispositifs fiscaux ou de primes en faveur de l’innovation sociale et écologique, le développement de fonds de garantie ou encore le renforcement de l’offre d’épargne réglementée solidaire à destination de la transition écologique.

Les solutions existent. Les attentes des acteurs de l’ESS vis-à-vis de l’Etat sont de plus en plus fortes. Il ne manque plus que la volonté politique.

Publicité
Publicité
Commentaires
FOLIO DU BLANC-MESNIL
Publicité
Archives
Newsletter
FOLIO DU BLANC-MESNIL
Publicité