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FOLIO DU BLANC-MESNIL
25 septembre 2022

Licencié pour faute grave, un lanceur d’alerte fait condamner une filiale de Veolia. Cécile Hautefeuille Médiapart

logo véolia

Un haut cadre, lanceur d’alerte au début de la pandémie de Covid, a fait reconnaître, devant les prud’hommes, le harcèlement moral et la nullité de son licenciement. Il avait été accusé de ne pas servir les intérêts de son entreprise et de Veolia en préconisant des mesures de prudence. La société et son président ont fait appel.

Cécile Hautefeuille

20 septembre 2022 à 12h59


C’estC’est un conflit éthique en pleine crise Covid qui a tout déclenché. Un désaccord, remonté jusqu’au PDG de Veolia, sur d’éventuels risques sanitaires et qui a coûté son poste à Hubert Brunet, cadre dirigeant, employé depuis 36 ans par une filiale du groupe.

L’homme dit avoir subi des représailles pour avoir formulé, dès mars 2020, des recommandations au ministère de l’écologie visant à éviter la propagation du virus du Covid via l’épandage des boues d’épuration. Des préconisations perçues comme « un excès de zèle » par son employeur, l’entreprise SEDE Environnement, spécialisée dans la valorisation de ces boues d’épuration, comme matières fertilisantes.  

Hubert Brunet s’était également vu reprocher d’avoir écrit à Antoine Frérot, à l’époque PDG de Veolia, et considère avoir été sanctionné à la suite de sa saisine du comité d’éthique du groupe en avril 2020, pour lui demander d’arbitrer son différend avec sa société, et alerter sur un éventuel « manquement à l’éthique » avec le risque « [d’exposer] la responsabilité de Veolia et de SEDE ».

Le siège social de Veolia à Aubervilliers. © Photo Éric Piermont / AFP

Licencié pour faute grave en juillet 2020, Hubert Brunet a fait reconnaître, par le conseil de prud’hommes d’Arras (Pas-de-Calais), la nullité de son licenciement et sa réintégration dans son emploi ainsi que le harcèlement moral dont il a été victime.

L’entreprise est condamnée à lui verser plus de 300 000 euros d’indemnité « en réparation du préjudice subi », ainsi que 73 000 euros de dommages-intérêts pour « manquements à la sécurité et à la santé ».

Sur ce dernier point, le président de la société a été solidairement condamné. « C’est assez rare d’obtenir cette reconnaissance de responsabilité, à titre personnel, d’un dirigeant », se félicite Me Marylaure Meolans, l’avocate du cadre licencié.

Sollicitée par Mediapart, l’avocate de SEDE Environnement et de son président annonce avoir fait appel de la décision, et indique que ni la société ni son dirigeant « n’entendent commenter cette procédure judiciaire en cours […] sans que cela ne fasse obstacle, le cas échéant, à l’exercice de leur droit de réponse après parution de l’article [de Mediapart] ».

Des recommandations, sur demande du ministère de l’écologie

Du fait de l’appel, qui suspend l’exécution de la décision prud’homale, le salarié n’est pas réintégré. Âgé de 63 ans, Hubert Brunet est inscrit à Pôle emploi et décrit cette bataille judiciaire comme « un compte à rebours infernal ». Il se dit satisfait du jugement, dont les motivations sont longuement étayées sur douze pages.

Les juges reconnaissent que l’ex-cadre a « supporté des propos dénigrants de la part de son [supérieur] hiérarchique sur une courte période mais de manière répétée ».

À l’époque des faits, ses relations avec le président de son entreprise n’étaient déjà pas au beau fixe. « La crise Covid a fourni une nouvelle occasion d’intensifier les représailles », commente l’avocate d’Hubert Brunet.

Outre ses fonctions au sein de la société, le haut cadre était également président du Syprea, le syndicat professionnel du secteur. C’est à ce titre qu’il a été sollicité, dès le mois de mars 2020, par le ministère de l’écologie. « On craignait de retrouver le virus dans les eaux usées, ce qui est d’ailleurs acquis aujourd’hui, se souvient Hubert Brunet. J’ai suggéré des techniques barrières visant à éviter tout risque de propagation du virus au travers de l’épandage des boues. Cette réflexion a été menée en collaboration avec les entreprises membres du syndicat et en s’appuyant sur les travaux menés par des experts Veolia. Les propositions ont été validées, tout le monde a trouvé ça pertinent. »

Quelques jours plus tard, l’Anses (l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) prend des mesures encore plus strictes et interdit, purement et simplement, l’épandage des boues non hygiénisées. « Cela a contrarié au plus haut point le président de SEDE Environnement », commente l’avocate d’Hubert Brunet. « Il n’y voyait que contraintes et surcoûts, sans en percevoir la dimension responsable et protectrice à l’égard de ses salariés et des tiers. À partir de là, il a rendu mon client responsable des conclusions de l’Anses, l’accusant de nuire aux intérêts de l’entreprise. »

Une « humiliation » devant toute la profession

Dans ses conclusions adressées au conseil de prud’hommes, l’avocate a d’ailleurs fourni un e-mail qu’elle juge « d’une grande violence », écrit par le président de SEDE Environnement et adressé début avril 2020 à son client : « Je te rappelle que tu dois veiller objectivement aux intérêts de SEDE et de Veolia, ce qui semble ne pas avoir suffisamment été fait les semaines précédentes. Dès lors, j’en appelle une nouvelle fois à ta vigilance et au réalisme de la situation sur les boues que tu ne maîtrises pas toujours, ainsi que sur tes excès de zèle dont tu fais parfois l’objet. »

Auprès de Mediapart, la société SEDE répond que « M. Brunet a retenu un certain nombre d’informations, notamment sur les modalités qu’il a lui-même décidé de mettre en place sur le partage d’informations concernant la crise du coronavirus. Il s’est ainsi engagé auprès du Syprea et des autorités sanitaires sans en référer à sa hiérarchie ni à la cellule de crise de l’entreprise, justement créée pour coordonner la lutte contre le coronavirus. Dans un contexte de crise sanitaire, cela lui a été reproché. La question clef, c’est celle du contexte, nous étions au tout début de la crise ».

Quelques jours après son courriel, le président de la société convoque Hubert Brunet et lui fait part, selon le récit du cadre licencié, d’un manque de confiance à son égard et de sa volonté de le remplacer à la présidence du Syprea. Une assemblée générale est d’ailleurs convoquée fin avril avec, pour seul ordre du jour, « le changement de personne physique membre du bureau »« C’était pour tenter de débarquer Hubert Brunet de sa fonction de président », commente Me Marylaure Meolans.

Hubert Brunet se remémore une AG ayant pris la forme « d’une humiliation devant toute la profession ». Les juges prud’homaux notent que le président de l’entreprise « remet en cause publiquement le professionnalisme de M. Brunet alors que les adhérents reconnaissent en séance ses compétences, son expertise et son investissement ». Ils lui renouvellent d’ailleurs leur confiance, à l’issue du vote.

Des reproches, après un droit d’alerte

Deux jours après cette assemblée générale, Hubert Brunet est placé en arrêt maladie par son médecin. « La pression psychologique m’a fait disjoncter », raconte-t-il à Mediapart. Il reçoit de nombreux messages de soutien de la profession, produits par son avocate. Des acteurs du secteur ou des prestataires de SEDE Environnement regrettent « un environnement destructeur » ou encore « la bassesse » d’un « traquenard ».

Le cadre ne se sent en revanche pas soutenu par les instances de son entreprise, ni du groupe. Il saisit ainsi le comité d’éthique de Veolia, lui demandant, précise le jugement, « [d’arbitrer] entre les mesures prises par l’Anses et l’injonction hiérarchique […] de veiller objectivement aux intérêts de SEDE et Veolia ».

Cette saisine ne donne rien. « Se réfugiant dans une posture politique, les membres du comité refusent de formuler une quelconque recommandation sur la manière de clore cet incident », indique l’avocate Marylaure Meolans.

Selon elle, le comité « qui n’a d’éthique que le nom » va même jusqu’à recommander à son client « de ne pas faire de vagues et de renoncer à la présidence du Syprea » et l’aurait invité, à plusieurs reprises lors d’un échange, à cesser toute forme de résistance face « à une bataille perdue d’avance ».

Elle estime que cette saisine a été reprochée à Hubert Brunet lors de la procédure de licenciement. Dans une réponse écrite, adressée à Mediapart, le groupe Veolia dément formellement : « Il n’existe aucun lien entre la saisine du comité d’éthique et les griefs à l’origine du licenciement pour faute grave de M. Brunet, qui a tenté de s’exonérer de l’autorité de son supérieur hiérarchique, de ternir l’image de ce dernier et de masquer ses graves manquements à l’obligation de loyauté et d’information à laquelle il était tenu vis-à-vis de la société, a fortiori dans un contexte de forte pression liée à la crise sanitaire de début 2020. »

Veolia ajoute qu’« une réponse claire a été apportée à cette alerte » et que « la probité et l’éthique » du comité « ne sauraient être remises en cause ».

Dans le jugement, le conseil de prud’hommes reconnaît en tout cas « le bien-fondé de l’utilisation du dispositif d’alerte par M. Brunet qui n’avait pas d’autre recours possible » et rappelle que « l’utilisation de bonne foi de ce dispositif ne peut donner lieu à sanction ou mesure discriminatoire, même si les faits s’avèrent postérieurement inexacts ou ne donnent lieu à aucune suite ».

Une enquête interne « partiale »

Se considérant harcelé, Hubert Brunet décide d’alerter le PDG de Veolia de l’époque, Antoine Frérot. « Il sollicite son intervention à titre personnel pour qu’il mette fin aux agissements du président de l’entreprise », rapporte l’avocate Marylaure Meolans selon qui, « aucune réponse ne sera apportée ».

Là encore, Veolia dément, indiquant que le « directeur des ressources humaines du groupe a été mandaté par Antoine Frérot pour répondre », courrier à l’appui.

Cette interpellation du PDG de l’époque sera en tout cas reprochée au cadre, dans sa lettre de licenciement pour faute grave. « Vous avez fini par écrire à Antoine Frérot n’hésitant pas à me viser personnellement [...] me reprochant des agissements à votre encontre tels que déstabilisation, reproches infondés, comportements inadaptés et mesures vexatoires publiques », écrit ainsi le président de SEDE Environnement.

Fin avril 2020, Hubert Brunet saisit le conseil économique et social de l’entreprise et suggère l’ouverture d’une enquête indépendante sur le harcèlement dont il dit faire l’objet, « afin de garantir l’impartialité des conclusions ».

Si une enquête interne est bien menée, « son caractère indépendant et équitable » n’est pas reconnu par les juges du conseil de prud’hommes. Ils constatent notamment que le salarié n’a « jamais été entendu sur les faits ».

« Ils n’ont pas hésité à le convoquer par mail puis par courrier recommandé avec accusé de réception malgré le fait qu’il soit en arrêt de travail », précise sur ce point l’avocate du salarié, ajoutant que « sans surprise, seuls les adjoints directs [du président de la société] ont été auditionnés dans le cadre de ce simulacre d’enquête ».

Les conclusions de cette enquête, rendues en juin 2020, concèderont tout juste des « divergences et tensions managériales » mais aucune situation de harcèlement moral avérée.

Le jugement, lui, conclut tour à tour à des « critiques »« entrevue vexatoire » et autre « humiliation publique », et constate qu’Hubert Brunet a « mis en œuvre les moyens pour se défendre », en vain. Son dernier recours, « pour protéger sa santé », indique le conseil, a été de saisir la médecine du travail qui a conclu à un syndrome anxio-dépressif « réactionnel à la situation ».

Cécile Hautefeuille

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