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FOLIO DU BLANC-MESNIL
18 avril 2024

« Notre crainte, c’est la mort des agences de l’eau »REPORTERRE

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Arrosage de cultures avec des arroseurs automatiques, en Maine-et-Loire en juin 2022. - © Jean-Michel Delage / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Thierry Burlot, président du comité de bassin Loire-Bretagne, s’inquiète de la volonté de l’État de passer en force dans la gestion de l’eau. Et ce, au détriment de la concertation locale et des préoccupations environnementales.

Il faut changer la gouvernance de l’eau, a déclaré en substance le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, lors du congrès de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), le 28 mars. Les comités de bassin et agences de l’eau sont pourtant des « lieux nécessaires » pour assurer les concertations, affirme Thierry Burlot, le président du comité de bassin Loire-Bretagne, indigné par le discours du ministre.

En France, les comités de bassin sont chargés d’assurer la concertation et définissent la politique locale de l’eau, sur chacun des grands bassins versants. Surnommés « parlements de l’eau », ils incluent des représentants de l’État, des élus locaux et des acteurs et usagers de l’eau. C’est ensuite l’agence de l’eau locale, dans chacun de ces bassins, qui est chargée de financer et mener concrètement cette politique sur le terrain.


 

Reporterre — Lors du congrès de la FNSEA, le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a promis de simplifier les procédures de construction de mégabassines pour les agriculteurs irrigants et évoqué une réforme de la gouvernance des agences de l’eau. En quoi cette prise de parole, qui vous a indignée, marque-t-elle un tournant, selon vous ?

Thierry Burlot — Il y a un an, avec l’annonce du plan eau, un président de la République reconnaissait pour la première fois qu’il y avait un problème d’eau en France métropolitaine. Ce n’est pas rien, même si ce plan n’est pas parfait. Un an après, alors que pas une semaine ne passe sans une crise, une sécheresse ou une inondation, la crispation s’est accentuée.

Ces dernières semaines, la crise agricole a fini par faire porter la responsabilité des difficultés des agriculteurs aux mesures environnementales et à en faire une crise d’accès à l’eau, ce qui est une erreur monumentale, complètement aberrante. Au départ, c’étaient de petits exploitants agricoles, éleveurs bovins ou producteurs bio, entre autres, qui se plaignaient du modèle agricole et du manque de soutien. Puis le conflit est monté et des acteurs d’autres filières ont amené le sujet sur la table, en accusant les écolos, les agences de l’eau et les comités locaux de l’eau de les empêcher de travailler, ce qui n’avait rien à voir avec la crise initiale.

Le discours du ministre, c’est le pompon. Je suis intervenu au Comité national de l’eau, le 2 avril, pour exprimer une exaspération, partagée au sein du Comité, face aux reculades permanentes sur la gestion de l’eau, et la crainte que l’on touche aux agences de l’eau. Derrière cette idée de « réforme de la gouvernance », il y a clairement une peur de voir mourir les agences de l’eau, et je ne suis pas le seul à le penser.


 

Le chercheur Bernard Barraqué expliquait en 2023 à Reporterre que l’État cherche depuis des décennies à récupérer l’argent de la « parafiscalité » que gèrent les agences de l’eau. Elles collectent environ 2 milliards d’euros chaque année auprès des usagers pour financer les projets territoriaux liés à l’eau. La même volonté de recentralisation prévaut-elle dans les récentes annonces ?

Le ministère de l’Économie lorgne sur cet argent. Avec cette idée que l’on pressent derrière, qu’ils pourraient gérer la ressource de manière plus efficace, en supprimant toute une série de contraintes. Au comité de bassin, on considère pour notre part qu’il n’est pas illogique que l’argent du contribuable soit géré localement, là où il sera utilisé.

La volonté de s’attaquer aux agences de l’eau n’est pas nouvelle. Dès 1977, un rapport commandé à Michel Rocard visait à les supprimer. Or, Michel Rocard, à l’issue de son travail, a fini par recommander l’inverse : il préconisait de ne surtout pas toucher à cette institution.

« On a oublié cette évidence, mais un fleuve [ici la Loire] doit se gérer de la source à l’estuaire. » Flickr/CC BY 2.0 Deed/Jean-Pierre Dalbéra

Il faut rappeler la qualité de la loi qui a créé ces agences en 1964, et qui a fait référence dans le monde entier. Cette loi fondatrice posait trois principes phares : premièrement, la nécessité d’une cohérence hydrographique. On a oublié cette évidence, mais un fleuve doit se gérer de la source à l’estuaire. Deuxièmement, une politique de l’eau réussie nécessite de réunir tous les acteurs autour de la table. C’est la première fois qu’on concevait une politique de démocratie participative. Et troisièmement, une politique de l’eau efficace nécessite de l’argent. D’où la création d’une redevance, une fiscalité gérée par les agences de l’eau, où chacun contribue à sa juste mesure.


 

En quoi ces principes sont-ils dévoyés aujourd’hui ?

Le principe pollueur-payeur devrait être mieux appliqué. Le gouvernement recule sur les mesures de réduction de pesticides alors que toutes nos rivières sont touchées par des problèmes de contaminations. Avec le plan eau, on nous dit que les redevances vont devoir augmenter pour tout le monde, sauf pour les agriculteurs. Pourtant, à l’heure actuelle, pour 1 euro donné, les agriculteurs en reçoivent déjà 2 ou 3.

Et on nous annonce que l’agence de l’eau va devoir financer les Mesures agroenvironnementales et climatiques et le bio : sur le bassin Loire-Bretagne, cela représente 199 millions d’euros sur notre budget de 380 millions d’euros. Alors même que 75 % de la redevance est payée par les usagers de l’eau potable. Ce serait assez logique que les agriculteurs qui irriguent beaucoup contribuent davantage.


 

Le principe de démocratie participative est également abîmé : le poids des préfets et des lobbies agroindustriels au sein des agences ou des comités de bassin est dénoncé par d’autres acteurs locaux. Vous-mêmes, au comité de bassin, aviez voté une motion à l’unanimité pour revoir le projet de la mégabassine de Sainte-Soline, après la manifestation violemment réprimée. Vous n’avez pas été suivis, et Marc Fesneau a même promis une centaine d’autres mégabassines cette année

Nous avons fait un gros travail de concertation sur Sainte-Soline, avec l’impression que cela n’a servi à rien. Nous ne sommes pas écoutés, l’État pense qu’il peut y arriver seul, avec une partie du monde agricole. De même, les agriculteurs irrigants sont habitués à traiter directement avec l’État. Pourquoi s’embêteraient-ils à nous écouter ? C’est une autre remise en cause du principe de concertation de la loi de 1964.

Ils se trompent s’ils pensent pouvoir passer en force. Il faut tirer les leçons de ce qui s’est passé à Sainte-Soline, essayer de créer du consensus. Penser qu’on peut régler des sujets aussi complexes par un tour de force n’est pas sérieux. Si on accepte une mainmise de l’agro-industrie sur ces questions, on court à la catastrophe.


 

Les tensions et impasses autour des mégabassines ne montrent-elles pas la nécessité, malgré tout, d’une réforme de la gouvernance ? Comment pourrait-on rendre la gestion de l’eau réellement démocratique ?

Les comités de bassin et les comités locaux de l’eau restent des lieux nécessaires, nous avons besoin de concertations. Mais on peut en effet en améliorer la gouvernance. Le problème numéro 1, c’est que le périmètre hydrographique n’a aucune légitimité politique. Il faut pouvoir gérer l’eau de l’amont à l’aval de manière cohérente.

Un autre problème, c’est que la politique de l’eau est devenue inaccessible, trop complexe. On parle de Sage, SDAGE, PTGE, HMUC [1]… Les gens ne comprennent plus rien. Le sujet de l’eau s’est refermé sur lui-même, entre experts. Il faut le remettre à portée de tous et retrouver du sens commun.

Nous avons fait de belles choses sur l’eau historiquement en France. Sur l’assainissement et l’eau potable, il y a eu des progrès considérables. Ce travail d’assainissement, d’accès pour tous, c’était la gestion du petit cycle de l’eau. Avec le changement climatique, le défi est maintenant de gérer le grand cycle de l’eau, du nuage à la mer. Il faut ainsi sortir des logiques où l’urbanisme, le développement agricole, économique, restent chacun dans leur couloir sans se parler.

 

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