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FOLIO DU BLANC-MESNIL
29 janvier 2024

L’école : entre symboles et (vraie) vie des élèves. Marie Duru Bellat Alternatives Economiques

ATTENTION ECOLE

LE 27/01/20245 min
Marie Duru-BellatSociologue, professeure émérite à Sciences Po, rattachée à l’OSC et à l’Iredu.

Que tout pays ait besoin de symboles et qu’il soit dans le rôle du Président de le rappeler, cela ne souffre pas de contestation. Mais imaginer que cette proclamation puisse s’avérer suffisante pour changer significativement les réalités, c’est bien plus hasardeux…

Alors que les problèmes actuels de l’école et de la jeunesse sont légion, décréter le retour à l’autorité et compter pour cela sur des symboles comme la « tenue unique » paraît bien optimiste, si ce n’est très naïf, ou bien relève de la pure stratégie politique !

Au collège et au lycée, les adolescents en pleine construction de leur identité se positionnent par rapport à leurs pairs par leur apparence et souvent le jeu sur leur apparence. Vouloir contraindre ces stratégies en imposant « d’en haut » des règles risque d’apparaître comme une violence symbolique de plus, alors même que la vie scolaire au quotidien constitue, pour bien des élèves, un parcours semé d’embûches dont on ne perçoit pas toujours le sens.

A l’heure où l’on sait pertinemment combien il est périlleux de s’arc-bouter sur des comportements autoritaires dès lors que l’adhésion des personnes concernées n’est pas au rendez-vous, et que l’on proclame par ailleurs la volonté de développer la participation des jeunes à la vie scolaire, imposer le port d’un uniforme frise l’absurde. Et pour quelle efficacité ?

Aux Etats-Unis, où Emmanuel Macron ou ses cabinets de conseil préférés puisent souvent leur inspiration, le port de l’uniforme n’a jamais été associé à un ordre scolaire renforcé, ni à des performances meilleures1.

Il en va d’ailleurs de même, dans ce pays, pour d’autres initiatives à visée moralisante : programmes dits d’« éducation sexuelle », programmes dits de « tolérance zéro » pour lutter contre les violences dans l’enceinte scolaire. Les évaluations de ces programmes rappellent cette donnée évidente : les jeunes ne passent qu’une minorité de leur temps à l’école.

Ainsi, même si la violence est réduite dans l’enceinte scolaire, ils la retrouvent dès qu’ils en sortent, dans leur famille, dans la société et dans les médias. Les cours pèsent peu par rapport à l’expérience de tous les jours…

Ce que les jeunes vivent au quotidien

Cela ne veut pas dire qu’il ne faille rien faire à l’école. Mais cela rappelle que les comportements des jeunes dépendent moins des leçons qu’on leur délivre que de tout ce qu’ils vivent au quotidien.

Le climat global des classes et des établissements en est une composante importante, et l’on sait par les enquêtes Pisa que les élèves français disent souvent qu’ils n’ont pas le sentiment d’être soutenus dans leurs apprentissages, ou qu’ils se sentent anxieux face aux contrôles.

Une école plus chaleureuse et moins compétitive, où se tromper serait une chose normale, rendrait les jeunes plus enclins à écouter les enseignants et à réagir de manière moins vive. Elle améliorerait le « climat disciplinaire » dans la classe dont les enquêtes montrent qu’il est un des facteurs le plus associés aux performances. Bref, le souci du « bien-être » des élèves, affiché ces dernières années, ne doit pas être enterré au profit d’un retour de bâton autoritaire.

Il s’agit ainsi de reconnaître que derrière l’élève, il y a une personne ; une personne dont toute la vie ne se réduit pas aux heures de cours. Certes, dispenser des cours et des leçons est une dimension importante de l’école, mais y garantir un climat éducatif ne devrait pas être facultatif.

Il est également nécessaire de s’attaquer aux difficultés très concrètes de beaucoup d’élèves dans leur famille et leur quartier, ce vers quoi tendent certaines initiatives récentes comme l’aide aux devoirs ou l’encadrement du temps extrascolaire.

Par ailleurs, si on entend conforter le civisme des élèves, les recherches, synthétisées notamment par le Centre national d’étude des systèmes scolaires (Cnesco), sont éclairantes. Elles soulignent que les cours d’éducation morale et civique, qui existent depuis plusieurs années et sont en France particulièrement précoces, et aussi très formels et directifs, sont bien moins efficaces en la matière que la façon dont on parvient à impliquer les élèves dans des débats ou à les faire participer à la vie scolaire.

Le chercheur en sciences politiques Sebastian Roché2 conclut quant à lui, au terme de plusieurs enquêtes, que « l’affiliation nationale des adolescents est profondément affectée non pas tant par leur exposition aux mythes et symboles nationaux (les grands hommes dans l’histoire, le drapeau, l’hymne national), mais plutôt par les relations qu’ils ont au quotidien avec les agents », désignant ainsi ceux qu’il appelle les « fonctionnaires de première ligne », notamment les enseignants et les policiers.

On ne saurait donc escompter un « réarmement civique » de la jeunesse sur la seule base de symboles, au demeurant très classiques et déjà mobilisés depuis plusieurs années, sauf à être décidément très loin des réalités quotidiennes des jeunes.

 

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