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FOLIO DU BLANC-MESNIL
26 août 2023

Macron et l'École : vieux poncifs et tri social, par Philippe WATRELOT,

Watrelot philippe

La très longue interview d’Emmanuel Macron au magazine Le Point porte sur bien des sujets mais elle se termine par deux pages entières consacrées à l’École et l’éducation. Selon le Président, cela fait partie de son « domaine réservé ». Il y développe une conception très réactionnaire et droitière avec de nombreux implicites et contre-vérités qu’on peut essayer de décrypter.

 

Illustration 1

« Domaine réservé »

« Compte tenu des enjeux, l’éducation fait partie du domaine réservé du président ». C’est lui même qui le dit !

L’an dernier il ne l’avait pas dit mais on l’avait bien compris puisqu’il avait laissé Pap Ndiaye en spectateur des annonces qu’il avait faites aux recteurs. Cette année, même s’il laisse Gabriel Attal intervenir dans cette réunion traditionnelle, il s’exprime avant lui avec cette interview au Point.

Le nouveau ministre a promis, lors de sa nomination, d’être un homme de « dialogue », de «proximité » et d’« écoute ». Il n’est pas sûr que les propos du Président lui rendent service. Implicitement, il n’est vu que comme une courroie de transmission alors qu’il espérait « plus de marge de manœuvre » (Le Monde du 24/08/2023)
Et, évidement, ces déclarations tonitruantes ne font que renforcer la défiance des enseignants à l’égard de la politique éducative menée depuis six ans. La succession des annonces se combine avec de nombreuses contre-vérités (pour ne pas dire mensonges) et autres "coups" de communication. 

Puisque le Président conclut son interview en évoquant « une école de la transmission, de l‘esprit critique et de la confiance  », exerçons donc notre esprit critique pour déconstruire les contre-vérités, les lieux communs et autres poncifs et quelques implicites dangereux.

Un maigre bilan

Cette partie de l’interview commence par l’évocation de ce qui est présenté comme une réussite du quinquennat : le dédoublement des classes de en CP et CE1 en REP+. Les travaux des chercheurs sur l’impact de cette mesure auraient du tempérer l’enthousiasme du Président. C’est une mesure modérément efficace qui a, par ailleurs un coût élevé alors que d’autres solutions plus intéressantes ont été abandonnées.

De même, Emmanuel Macron considère l’évaluation comme une solution pour dépister les difficultés des élèves et prévenir le décrochage. Mais cela reste du domaine de l’intention. L’évocation de la « vitrine » des innovations dans les écoles de Marseille procède de la même logique d’affichage.

Une des réformes menées jusqu’au bout par le Ministre Blanquer c’est celle du lycée et, là aussi, le bilan est faible puisque le locataire de l’Élysée en reconnait implicitement l’échec et annonce des modifications du calendrier.

Le mensonge de la « revalorisation » et des « heures perdues »

Dans le bilan, il y a aussi la pseudo « revalorisation ».
Le Président continue les contre-vérités : « Je suis le président sous lequel les enseignants de la  maternelle jusqu’à l’université auront été le plus revalorisés depuis trente ans. Nous acons engagé une revalorisation historique des enseignants : c’est au cœur du pacte enseignant […] C’est une revalorisation comme on n’en a pas eu depuis 1990 »

Au risque de se lasser, il faut encore une fois répéter que la revalorisation « socle » (pour tous les enseignants) est inférieure à l’inflation et ne permet en rien de compenser le décrochage salarial. Et le pacte enseignant n’est que l’habillage de la logique du « travailler plus pour gagner plus ». On demande à des enseignants qui travaillent déjà beaucoup d’assumer de nouvelles tâches dont le remplacement des autres personnels.

Outre qu’on généralise une logique de contractualisation qui va à l’encontre  du statut de fonctionnaire, on leur demande surtout de compenser les insuffisances de l’État. Emmanuel Macron sort un chiffre de « 12 millions d’heures perdues par an » mais à aucun moment ne s’interroge sur les origines de ce chiffre. Or, pour l’essentiel c’est lié au tarissement du corps de remplaçants et au nombre insuffisant de profs. C’est donc le produit d’une double logique d’économies et de manque d’attractivité du métier.

J’ai essayé de montrer par ailleurs que les remplacements de courte durée et le déplacement voire la suppression des formations n’étaient pas une bonne solution. La petite musique jouée en sourdine par le Président ressemble fort à du « prof bashing » où on laisse entendre que s’il n’y aura pas (forcément) un prof devant chaque classe à la rentrée ce sera à cause de la mauvaise volonté des enseignants.

Réduire les vacances : une hypocrisie

Cette petite musique est aussi sous-jacente dans la proposition qui fait le plus le buzz : la réduction des vacances d’été.
Emmanuel Macron l’avait déjà évoquée à la fin juin (voir mon billet de blog). Les enseignants auraient trop de vacances et on pourrait les mobiliser pour réduire les inégalités scolaires avec du rattrapage (en 15 jours en plein été  !) auprès des élèves en difficultés qui auraient été repérés. «Plus d’École ne fera jamais mieux d’École» fait remarquer un internaute en réaction à un dispositif qui, par ailleurs, risque d’être très stigmatisant.

Rappelons aussi que des mesures voisines mais sur la base du volontariat existent déjà, ça s'appelle 'l'école ouverte' et ça existe depuis 40 ans  C’est un vieux truc de communication politique de présenter comme une nouveauté des choses qui existent déjà. On voit ainsi fréquemment le « retour » de l’uniforme (qui n’a jamais existé), de l’autorité (qui n’a pas disparu), de la dictée (pratiquée tous les jours) et des fondamentaux… Comme si les enseignants s’acharnaient à ne rien apprendre à leurs élèves... Ces propos sont non seulement une méconnaissance de la réalité de leur travail mais une forme de mépris.

Le vieil épouvantail du « pédagogisme »

Toute cette interview du chef de l’État se situe dans un contexte de tentative de séduction de l’électorat conservateur et de recherche d’alliés politiques à droite. On en a une belle illustration de populisme éducatif avec le « retour » à une histoire chronologique (qui n’a jamais disparu) et l’inculcation des valeurs de la République à coup de « grands textes » et de morale laïque.

Les procédés rhétoriques pour séduire les conservateurs sont classiques. Parmi ceux-ci il y a la référence à l’école d’antan et pour cela va créer un épouvantail : le « pédagogiste ». C’est toujours plus facile de s’inventer un ennemi imaginaire qu’on va accabler de tous les défauts ! Illustration avec ce passage de l'entrevue : « On a une génération, même plusieurs, qui malheureusement ont un peu perdu leurs repères à cause d'un pédagogisme qui qui disait au fond que l'école ne doit plus transmettre ».
 J’ai consacré en 2021, tout un livre à ce thème intitulé justement « je suis un pédagogiste » (ESF-Sciences Humaines). Après Sarkozy qui fustigeait l’esprit de 68 et les  « pédagogistes fous », Fillon qui parlait des « pédagogistes prétentieux », Macron enfourche le même cheval pour combattre cet « homme de paille » (c’est le nom du sophisme).

Je ne pense pas que cette interview va relancer les ventes de mon livre ( !) mais je ne peux que constater qu’il est toujours actuel et que le conservatisme voire la pensée réactionnaire n’a fait que progresser dans le domaine de l’éducation (comme partout d’ailleurs !)

Une École du tri social.

Sous un faible vernis innovant et moderne, les propos laissent apparaitre entre les lignes une vision très réactionnaire et élitiste.
«Il faut cesser d'envoyer en sixième les 20% d'élèves qui ne savent pas lire, écrire et compter». Même s’il dit ensuite qu’il ne s’agit pas de remettre en question le collège unique, cette phrase interroge. Va t’on vers un retour à un examen d’entrée en sixième ? Envisage t-il une sélection précoce ? (et d'où sort ce chiffre ?)

« Tous les enfants ont le droit d’aller jusqu’en troisième avant d’être orientés. […] Dès la cinquième, il s’agit de faire entrer les métiers au collège […] pour que les élèves […] puissent comprendre où il y a des besoins ». On rappellera que les élèves de 5ème ont douze ans…
« La première hypocrisie consiste à se féliciter d'avoir 80% d'une classe âge au bac. Or, un tiers de lycéens sont en lycée professionnel ». Que conclure de cette remarque ? Les élèves de lycée professionnel sont-ils des sous-lycéens ? Cela respire le mépris de classe.
Avec ces propos sur l'orientation, on est surtout dans une logique très "adéquationniste". Les élèves sont "orientés" en fonction des besoins de l'économie. Ce n’est pas une vision émancipatrice.
Cette logique se confirme avec cette autre phrase : « On va faire la transparence pour voir combien vont à l'université […] combien obtiennent un emploi et travailler à l'évolution de l'offre de formations en fonction des besoins en emplois dans la nation a besoin  dans la même logique que pour les lycées professionnels »

***

Plus haut dans l’interview, l’analyse que fait Emmanuel Macron des émeutes urbaines montre qu’il semble imperméable à la question des inégalités sociales. Ses propos sur l’École semblent le confirmer. On ne trouve nulle trace d’une approche globale mais plutôt une logique individualiste fondée sur le mérite et le tri social au service de l’économie.

Face à ce discours, il reste aux forces progressistes à construire une réflexion collective sur l’École qui soit à la mesure des enjeux que sont le poids des inégalités et de l’injustice et le risque toujours présent d’explosion sociale. 

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