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FOLIO DU BLANC-MESNIL
20 juin 2023

Les nouveaux pesticides « extincteurs de gènes » inquiètent les scientifiques Reporterre

abeille et le pissenlit

L’agrochimie compte vaporiser des petits bouts de code génétique sur les champs afin d’éradiquer certains ravageurs. Ces nouveaux pesticides vont accélérer l’effondrement de la biodiversité, alertent scientifiques et ONG.

Connaissez-vous la technique du « silençage génétique » pour se débarasser des ravageurs ? Il s’agit de pesticides à base d’ARN, un cousin de l’ADN qui permet d’interagir avec lui. Vaporisés sur les cultures, ils permettent d’« éteindre » de manière ciblée l’expression d’un gène indispensable à la vie des insectes dont on veut se débarrasser. En bref, à les éradiquer. L’industrie est enthousiaste et assure même que cela pourrait signer la fin des insecticides et des fongicides : ces nouveaux pesticides ne cibleraient qu’une seule espèce, contournant le problème de la résistance, et seraient biodégradables ! Une recette alléchante pour échapper aux dégâts des pesticides chimiques actuels. L’entreprise étasunienne GreenLight Biosciences a même réalisé des tests en plein champ sur la pomme de terre en France, en Allemagne et en Belgique notamment.

Pourtant, les arguments des promoteurs sont battus en brèche par les scientifiques spécialistes de la biodiversité et les ONG environnementales. Ils craignent notamment que ces nouveaux produits accélèrent encore l’effondrement du nombre des insectes, et en particulier des pollinisateurs. « Trop de nouvelles substances sont produites et relarguées dans la nature, sans que les scientifiques aient le temps d’analyser correctement leurs effets », déplore Benoît Geslin, chercheur et spécialiste des relations plantes-insectes à l’université Aix Marseille. « On commence à peine à parler des technologies dites de “silençage génétique” que l’on apprend déjà que certains produits sont prêts à être mis sur le marché ! »

La start-up GreenLight Biosciences a conduit onze essais en Europe. GreenLight Biosciences

Comment produit-on ces petits fragments de matériel génétique pesticide ? Pour cela, les chercheurs ont adopté deux approches. La première, développée et d’ores et déjà commercialisée aux États-Unis par Bayer-Monsanto, passe par des plantes génétiquement modifiées : ce sont elles qui produisent les pesticides. En l’occurrence, le maïs OGM 87411 sécrète des fragments d’ARN qui tuent la chrysomèle, un coléoptère à l’appétit féroce.

La seconde option, en cours de développement, consiste en l’application externe du produit à base d’ARN par pulvérisation, trempage des racines ou injection dans le tronc des arbres à protéger. GreenLight Biosciences se vante d’être en pointe sur le sujet : elle affirme avoir déposé une demande d’homologation aux États-Unis pour un spray visant le doryphore, un ravageur de la pomme de terre.

La crainte : une accélération de l’effondrement des insectes

C’est ce spray qu’elle a testé en Europe. Une information confirmée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) à Reporterre : « Trois déclarations (une sur colza et deux sur pommes de terre) de mise en place d’essais et expérimentations sous le régime de la dérogation au permis d’expérimentation » ont été enregistrées.

Pour des essais réalisés sur des petites surfaces et avec de petites quantités de produits, une simple déclaration suffit, sans demande d’autorisation, précise l’agence. Et ces essais ont déjà eu lieu, « en 2020-2021 sur une surface limitée à un peu plus d’un demi-hectare. »

Des effets hors cibles sont-ils à craindre ?

Les industriels l’assurent : le pesticide est extrêmement précis. Il ne vise qu’une espèce de ravageur, celle qui dispose au sein de son génome de la séquence d’ADN ciblée. Mais comment en être absolument sûr lorsque l’on ne connaît qu’une infime partie du vivant ? Comment s’assurer que cette séquence ne se retrouvera pas dans le génome d’insectes proches, fruits d’une évolution commune ? De plus, selon une étude publiée en 2021 dans la revue RNA Biology, nul besoin de détenir une séquence identique à 100 % pour être touché par un pesticide à ARN« Cet effet hors cible peut se produire dès lors que deux espèces d’insectes partagent un gène similaire à plus de 80 % »alerte l’ONG Pollinis.

Or, arthropodes, coléoptères et autres auxiliaires des cultures disposent de génomes relativement similaires. Ainsi, dans une vidéo diffusée début mai, Pollinis révèle que le gène codant pour l’actine — une protéine essentielle à la vie et justement ciblée par le pesticide — chez le doryphore correspond à 84 % à celui qui code pour la même protéine chez le bourdon domestique.

Celui-ci sera-t-il un dommage collatéral ? Il pourrait surtout n’être que la partie émergée de l’iceberg. « Il existe 974 espèces d’abeilles différentes en France, s’inquiète auprès de Reporterre le chercheur Benoît Geslin. Nous connaissons très mal leur biologie. De là, à connaître leur génome… »

Le gène codant pour l’actine chez le doryphore correspond à 84 % à celui qui code pour la même protéine chez le bourdon domestique. Thomas Bresson / CC BY 2.0 / Flickr

Les scientifiques sont bien conscients de l’immensité de la tâche à accomplir. « Pour la multitude d’organismes dont le génome a été séquencé, il est possible d’utiliser la bio-informatique pour s’assurer que ces produits ARN seront bien spécifiques d’un gène cible, dit à Reporterre Manfred Heinlein, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et spécialiste des interactions plantes-virus. J’imagine que pour être mises sur le marché, ces ARN devront aussi faire la preuve expérimentale de leur spécificité » — probablement dans le cadre d’essais en plein champ.

Pour l’heure, les preuves scientifiques de leur innocuité ne sont pas suffisantes, affirment 100 scientifiques dans un appel international sur les biotechnologies dangereuses pour la biodiversité. « Nous sommes face à un vide scientifique, le sujet est émergent et il n’y a encore que très peu d’études. Le principe de précaution doit s’appliquer », prévient Benoît Geslin, qui a signé cet appel.

Une formulation finale inconnue

Autre promesse alléchante : ces pesticides seraient biodégradables. De quoi résoudre le problème de la contamination des sols, assure-t-on du côté des industriels. Ces arguments ont toutefois du mal à convaincre les scientifiques que nous avons contactés et les ONG : qu’en sera-t-il réellement des formulations finales des pesticides à ARN ?

Actuellement, ces petits ARN sont vite dégradés dans l’environnement, parfois même avant d’atteindre leurs cibles. Mais pour rendre les produits performants, les industriels devront prévenir cette dégradation. Il leur faudra ajouter des « coformulants » assurant au produit son maintien dans l’environnement — au moins le temps d’atteindre leurs cibles — et favorisant l’exposition des insectes.

L’une des solutions envisagées serait l’encapsulation des ARN dans des nanoparticules synthétiques, a révélé l’ONG les Amis de la Terre, dans un rapport publié en 2020. Or ces substances présentent une toxicité cellulaire et mutagène, de même que des effets sur la photosynthèse. Et selon l’ONG, elles persistent dans l’eau et dans les sols.

L’évaluation scientifique aux mains des grandes firmes

« Il est important que cette technologie puisse faire l’objet de recherches en Europe, dans un cadre clairement défini, et qu’elles soient menées par des universités, des instituts de recherche publics ou des entreprises », plaide le lobby des pesticides Phyteis auprès de Reporterre.

Or, l’industrie est déjà très avancée sur le développement des pesticides à ARN. Résultat : comme pour les pesticides de synthèse, ce sont les grandes firmes, Bayer-Monsanto en tête, qui évaluent elles-mêmes l’innocuité de leurs produits et alimentent les dossiers d’homologation. Elles n’ont pas toujours brillé par leur volonté de transparence. L’eurodéputé Christophe Clergeau (PS) déplore auprès de Reporterre « la dépendance des évaluateurs nationaux et européens aux données industrielles ».

Les produits à ARN pourraient être encapsulés dans des nanoparticules synthétiques et persister dans le sol. Pxhere / CC

Interrogée par son prédécesseur Éric Andrieu qui a démissionné début juin, la Commission européenne semble tout juste découvrir l’avancée de l’industrie sur ce sujet. Ainsi, aucune information n’avait filtré sur la réalisation d’essais en plein champ sur son sol.

« Quand il s’agit de technologies qui touchent au cœur du vivant, les essais devraient être encadrés et connus au niveau européen, avec une méthodologie et un suivi des essais, une transparence des données, dit Christophe Clergeau. C’est inacceptable que la Commission soit aveugle. » Il demande une meilleure « transparence des États membres vis-à-vis de la population et de la Commission » européenne et plaide pour une « recherche indépendante sur des percées technologiques des industriels ».

La Commission a précisé que les pesticides à ARN seraient soumis à évaluation, comme tout pesticide, selon le règlement en vigueur. Mais, pour l’heure, aucune demande d’autorisation de mise sur le marché ou d’homologation n’a été transmise en France et en Europe, assurent Phyteis, l’Anses et la Commission européenne.

 



L’ARN ET LE CODAGE DE GÈNES

Chaque être vivant dispose au sein de ses cellules d’une sorte de carte d’identité génétique. Celle-ci est composée d’un double brin d’acide désoxyribonucléique (ADN) qui permet à chaque organisme de se développer selon des caractéristiques propres à son espèce et à son patrimoine familial, et sous l’influence de son environnement.

Chaque séquence d’ADN constitue ainsi la recette spécifique pour la fabrication d’une protéine utile à une fonction (respiration, fonction musculaire, métabolisme, etc.). Pour fabriquer cette protéine, un traducteur est nécessaire : l’ARN messager (acide ribonucléique, ARNm), qui copie la séquence d’ADN et sert de support à la fabrication de la protéine.

Deux chercheurs étasuniens, Andrew Fire et Craig Mello, ont découvert que d’autres brins d’ARN pouvaient interférer avec la fabrication des protéines, en bloquant ces ARNm. Un mécanisme baptisé ARNi, pour ARN interférence. Ils ont obtenu en 2006 le prix Nobel de physiologie et de médecine pour cette découverte.

D’abord employé dans la recherche médicale, ce processus intéresse aujourd’hui les grandes firmes agrochimiques car des chercheurs ont découvert que les brins d’ARN ingérés par les ravageurs pouvaient s’introduire au cœur des cellules de l’animal et bloquer les gènes cibles. Ils ont ensuite imaginé bloquer un gène vital pour le ravageur — de la chaîne respiratoire par exemple — afin de l’éradiquer.

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