Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
FOLIO DU BLANC-MESNIL
19 octobre 2021

La cité Pierre Sémard, un matrimoine menacé d'extinction

d

Au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), la cité Pierre Semard, le plus grand ensemble de logements sociaux en bois en France, est aujourd’hui menacée de démolition. Ses locataires et son architecte, Iwona Buczkowska, accusent le manque d’entretien et bataillent pour faire reconnaître ce quartier atypique comme monument historique.
La Cité Pierre Semard, Le Blanc-Mesnil, 17 septembre 2021. Crédit : Manon SELLI.

À la sortie de la station de RER Blanc-Mesnil, on découvre rapidement le long de la rue Semard des façades de bois qui se succèdent. Pour les curieux qui suivent l’allée qui s’offre sur leur gauche, ils découvrent un grand ensemble d’habitats en bois pointus sur deux étages. Des allures alpines au cœur de l’Île-de-France.

Des planches de mélèze qui varient de couleurs au gré de la météo, le rouge des encadrements qui tranche avec la verdure qui l’entoure. La cité Pierre Semard est un coin qui détonne avec les pavillons qui peuplent majoritairement la commune du Blanc-Mesnil. Aussi appelée « Cité de la Pièce Pointue » en référence à la forme atypique de ses habitats, elle accueille 225 logements sociaux et 6 ateliers d’artistes depuis trente ans.

L’ambiance y est calme voire désertique en plein après-midi. Quelques enfants passent à vélo, d’autres passants rentrent des courses. Chacun a son trajet pour aller d’un coin à l’autre dans ce labyrinthe à deux étages. La résidence est essentiellement habitée par des familles et des retraités. Sur plusieurs fenêtres et rambardes en bois fleurissent des affiches et des banderoles colorées où l’on peut lire « NON à la destruction OUI à la rénovation totale. »

Alain Mathias, Président de l’Amicale des Locataires de la Cité Pierre Semard, le 17 septembre 2021. Crédit : Manon SELLI.

« En 2019, après plusieurs années où on nous promettait des travaux de réhabilitation dans la cité, notre bailleur social, Seine-Saint-Denis-Habitat, nous a annoncé de but en blanc que deux tiers des logements allaient être détruits, le terrain revendu à un promoteur privé et qu’avec l’argent obtenu, la tranche restante des habitats serait rénovée », explique Alain Mathias, Président de l’Amicale des Locataires de la Cité Pierre Semard. Depuis cette annonce, le collectif de résidents est « entré en bagarre » pour préserver leurs logements.

Des logements sociaux uniques en leur genre

Le but de l’Amicale des locataires est de faire reconnaître la cité comme monument historique. Pour cela, ils ont fait une demande de classement à la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC). Le dossier est encore en cours mais elle a d’ors et déjà « confirmé l’indéniable intérêt architectural de cet ensemble » dans un courrier. Si le titre est accepté cela empêcherait la démolition. Toutefois, cette reconnaissance nécessite au préalable l’accord du propriétaire, Seine Saint Denis Habitat.

Les résidents mobilisés avec l’architecte de la cité, Iwona Buczkowska, ont aussi fait appel aux soutiens d’élus et de professionnels à l’instar de l’architecte iranienne Farshid Moussavi, professeure à l’Université de Harvard qui a amené plusieurs fois ses élèves en observation à la cité. « Ce quartier représente une richesse patrimoniale et historique unique pour la ville du Blanc-Mesnil que leur destruction ne saurait remplacer », note-elle dans une lettre de soutien.

Les locataires sont en effet attachés à leur cité qui leur donne accès à un logement bien différent des habitats à loyer modéré habituels. « C’est quand même mieux qu’un HLM sur 10 étages, c’est beau, c’est atypique », en atteste Jocelyne Laurent, salariée retraitée d’une agence immobilière, qui vit dans la cité depuis 15 ans. « Ce n’est pas pour s’accrocher à quelque chose de nul qu’on résiste. Des lieux comme ça sont rares en Seine-Saint-Denis. Par rapport à un parallélépipède avec un toit tout droit, à certains endroits de mon appartement, j’ai 4 mètres de hauteurs sous plafond, c’est quand même une autre manière de vivre »ajoute Albert Bourse, retraité qui loge dans la Pièce pointue depuis son origine.

L’architecte de la cité Pierre Semard, Iwona Buczkowska, dans son atelier à Ivry-Sur-Seine, le 23 septembre 2021. Crédit : Manon SELLI.

Ces logements ont été imaginés et conçus entre 1978 et 1992. Iwona Buczkowska, l’architecte d’origine polonaise, a alors toute juste 23 ans quand on lui confie le projet. « Je voulais faire des habitats intermédiaires entre la maison et la tour d’immeuble. Réunir les avantages d’un logement individuel et d’un logement collectif », revendique-t-elle encore très animée par son projet, les photos et les plans qui peuplent son atelier l’attestent.

« Ces habitats témoignent d’une liberté d’expression dans l’architecture. L’espace est fait de sorte qu’on a envie de l’explorer par les différentes perspectives et éclairages qu’il offre, contrairement à des habitats parallélépipédiques. »

Ces logements possèdent des ouvertures qui permettent de communiquer entre les résidents à l’intérieur et l’extérieur des habitats. Une convivialité chère à l’architecte et affectionnée par les locataires. Ils possèdent en plus chacun une terrasse ou un jardin.

L’intérieur d’un appartement de la cité Pierre Semard, menacé de démolition, le 17 septembre 2021. Crédit : Manon SELLI.
Un manque d’entretien qui pèse lourd

Toutefois, l’œuvre architecturale accuse le coup des années. Infiltrations d’eau, planches de bois délabrées, peinture défraîchie. Certains logements portent des marques d’insalubrité qui enlèvent le charme initial de l’habitat. C’est pourquoi des locataires quittent la résidence car aucune réparation n’est effectuée.

« En ce moment la politique de Seine-Saint-Denis Habitat c’est de condamner les appartements quand les gens s’en vont. Il y en a déjà une trentaine qui n’ont pas été rénovés pour être reloué », précise Alain Mathias dépité par le nombre d’habitats fermés.

Un appartement condamné (1) et l’encadrement non repeint des appartements (2) à la cité Pierre Semard, le 17 septembre 2021. Crédit : Manon SELLI.

Le bailleur justifie la démolition de ces logements en estimant que la rénovation serait trop chère, avec un coût moyen par logement de 165 000 €, comme son ancien Directeur Général, Patrice Roques, l’expliquait à Libération. « Une aberration, aucun maître d’ouvrage n’estimerait des coûts aussi élevés même pour une remise à neuf », s’enflamme l’architecte. Les locataires et elle considèrent en effet ces chiffres bien trop élevés. Malgré leurs maintes demandes l’étude attestant de ces montants ne leur a pas été montrée. Contacté Seine-Saint-Denis Habitat n’a pas donné suite non plus à la demande d’accès à ces documents.

« Il n’y a aucune transparence sur ces chiffres, aucun contexte, aucun détail de comment a été mesuré ces coûts. On ne sait même pas pour quels travaux ce serait. Aucun expert n’est venu faire de visite dans les logements menacés », relève Alain Mathias. L’Amicale des locataires prévoit de faire une contre-expertise des coûts que représenterait la rénovation totale des logements de la cité. « On ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problèmes mais ça se rectifie si on le veut, il faut y réfléchir », ajoute l’ancien professeur de mathématiques dans le secondaire.

Pour l’architecte et les résidents le problème d’insalubrité actuel de certains habitats vient de l’entretien. Ils mettent en cause la négligence de ces logements par le bailleur social. Iwona Buczkowska estime en effet que les coûts de la rénovation ne paraîtraient pas aussi importants s’il y avait eu une volonté d’entretenir dès le départ.

« J’ai du faire avec les normes HLM de l’époque et le maigre budget qui va avec. La toiture en shingle était la moins chère mais elle a une durée de vie de 20 ans. Elle n’a pas été changée depuis 30 ans, c’est donc normal que l’isolation se soit tassée et qu’il y ait des infiltrations aujourd’hui. Une partie du loyer social est alloué à l’entretien, je me demande où va cet argent ? »

L’urbaniste est dépitée aussi par le fait qu’elle n’est jamais consultée par le bailleur, spécifiquement pour le nouveau projet urbain : « En France, l’attitude des bailleurs publics est incompréhensible. C’est déroutant et décourageant. Qu’on puisse comme ça tout gommer du travail des gens, ça me dépasse, c’est un tel gâchis. » En sa qualité de propriétaire de ces logements, Seine-Saint-Denis Habitat a le droit de mettre en vente ces habitats.

Des logements envisagés bien différents de l’esprit d’origine

Le nouveau projet qui comprend 527 appartements occasionnerait la perte de 130 logements sociaux pour seulement 48 reconstruits. Les autres seraient privés. En sus, l’ensemble des travaux engendraient la suppression du city-stade priviligié des jeunes et de l’aire de jeux, 108 places de parking en moins et 7 000m² d’espaces verts entièrement bétonnés. « Alors qu’on parle de réchauffement de la planète, c’est en total contradiction de tout démolir », explique Jocelyne Laurent, résidente au rez-de-chaussée. Le promoteur privé, Cogedim, n’a pas souhaité s’exprimer sur les détails de leur projet.

Il y a un flou aussi sur les propositions de relogement qui leur seraient proposées : relogement dans les nouveaux habitats, dans la première tranche préservée de la cité, dans un autre quartier du Blanc-Mesnil ? Aucune réponse claire n’est apportée par le bailleur. « Quand on voit les problèmes de logement en Seine-Saint-Denis — Y’en a pas, c’est infernal — comment vont-ils reloger l’ensemble des résidents ? », conteste Alain Mathias. « On va être englouti dans les immeubles si on bouge alors qu’ici c’est si lumineux et spacieux », ajoute Maryline Contrôle, qui loge avec son fils à la Pièce Pointue depuis son origine. Pour Jocelyne Laurent, la décision est prise : « s’ils détruisent, je pars vivre dans le 77, en Seine-et-Marne. Je ne veux pas être relogée dans une tour comme dans les quartiers des Tilleuls et des Quatre Tours. »

Architecturalement, le projet de Cogedim prévoit un retour au parallélépipédique, au dépit du vœu d’Iwona Buczkowska: « Aujourd’hui on pense seulement sécurité, acoustique, confort thermique : des points techniques qui enlèvent la libre expression que j’ai recherchée dans cette cité. »

Les locataires concèdent que leur habitat n’est pas forcément adapté aux personnes à mobilité réduite. « J’ai du rajouter une marche pour accéder au jardin et une rampe pour descendre au salon », note Jocelyne Laurent. « Les meubles ne s’adaptent pas toujours au pointu », note aussi Alain Mathias, « mais on profite d’espace en plus du fait de la variété des volumes : avec beaucoup de hauteur sous plafond j’ai pu aménager une mezzanine pour ma fille et comme tout ce qui est en-dessous de 1m80 n’est pas compté comme surface habitable, on profite d’espace aménageable sans coût. »

Une mairie absente et des politiques de rénovation urbaine à foison

La maire du Blanc-Mesnil est la grande absente du débat qui a lieu à la cité Pierre Semard. « On est inconnus de la mairie, on n’a pas de réponse à nos courriers, pourtant on est prêts à proposer des choses. À leurs yeux, ce n’est pas leur problème », explique Alain Mathias. Il s’irrite, s’en prenant à Thierry Meignen, le maire sortant du Blanc-Mesnil devenu Sénateur de Seine-Saint-Denis depuis fin juillet : « Il utilise les mêmes arguments que le bailleur. Il dit que les gens n’arrivent pas à se chauffer, à se meubler, qu’il y a de l’eau dans les appartements… C’est une caricature bien faussée de la réalité. »

Logements de la Cité Pierre Semard, Le Blanc-Mesnil, le 17 septembre 2021. Crédit : Manon SELLI.

Pour se faire entendre l’Amicale des locataires a fait appel à l’association Appuii (Alternatives pour des projets urbains ici et à l’international). Elle « fournit un soutien multiforme à des collectif d’habitants qui éprouvent un sentiment d’injustice face à des projets urbains qui transforment leurs quartiers et leurs vies sans les impliquer »comme l’indique leur brochure. « Je n’ai jamais fait face à une commune aussi hostile envers ses habitants qu’au Blanc-Mesnil”, témoigne Joséphine Blunt, membre d’Appuii, “Il n’y avait aucune volonté de s’adapter face aux requêtes des locataires et de mettre en place un dialogue avec leur bailleur.”

« On est juste à côté du RER qui nous amène en 20 minutes à Châtelet donc c’est convoité », relate Alain Mathias. Joséphine Blunt le rejoint sur ce point. « Avec l’enjeu du Grand Paris Express, cela reconfigure l’attrait immobilier de la ville. En vendant ces logements à un promoteur privé, c’est l’occasion de faire de l’entrée du Blanc-Mesnil, une vitrine pour la commune. Cela peut expliquer l’hostilité face à la mobilisation. »

La mairie possède elle aussi son projet de rénovation urbaine dans le quartier au niveau de la gare, relate le site de la commune. Quelques 245 logements en accession à la propriété dans un style haussmannien bien éloigné de celui initié par Iwona Buczkowska.

L’association Appuii relate que le cas de la cité Pierre Semard n’est pas isolé. Au Blanc Mesnil et en Seine Saint Denis de manière générale, de nombreuses politiques publiques de rénovation urbaine ne prennent pas forcément en compte l’avis des habitants. Elles multiplient les rachats par des promoteurs privés, occasionnant des pertes du nombre de logements sociaux. À ce titre, le collège tout bois Pierre Semard, construit aussi par Iwona Buczkowska à Bobigny est également menacé de démolition. « D’une part l’État par certains de ses représentants défend le patrimoine, de l’autre il le vend », déplore l’architecte. « Si l’on regarde sur une carte les grands projets de rénovations urbaines on voit qu’il y a une grande dynamique de privatisation des logements sociaux », explique Joséphine Blunt.

Pour l’heure au Blanc-Mesnil, les locataires restent pris dans un calendrier flou concernant les travaux. Dans l’attente de réponses, ils continuent de se mobiliser dans l’espoir de prévenir de cette démolition.

Manon Selli

Publicité
Publicité
Commentaires
FOLIO DU BLANC-MESNIL
Publicité
Archives
Newsletter
FOLIO DU BLANC-MESNIL
Publicité