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FOLIO DU BLANC-MESNIL
15 mai 2009

La grande intox de la gauche doctrinaire

Débat. Vincent Duclert publie un ouvrage sur le mouvement ouvrier.

LAURENT JOFFRIN

Saint Jaurès, délivrez-nous de la gauche doctrinaire ! En moins de 200 pages, Vincent Duclert, historien de la République, nous ramène à ce mot d’ordre simple et décisif (1). Un livre qui ne va pas manquer de faire polémique (lire ci-dessous).

Une certaine histoire du mouvement ouvrier, écrite à dessein, veut nous enseigner qu’une gauche orthodoxe a toujours fait face à des déviations droitières pour maintenir son originelle pureté et préserver l’idée d’une rupture radicale avec le système. Vaste intox. L’histoire revisitée sans œillères, comme le fait Vincent Duclert, nous enseigne exactement le contraire. Ce sont les donneurs de leçons de l’orthodoxie qui ont conduit la gauche dans le fossé. C’est en marge des appareils amidonnés dans la doctrine que la vérité et l’honneur de la gauche française se sont réfugiés.

Spécialiste de l’affaire Dreyfus, Duclert rappelle le dispositif initial. Devant l’iniquité faite au capitaine juif, la gauche pure et dure, au nom des principes de la rupture, est restée muette. Seuls les marginaux du socialisme humaniste, qu’étaient Lucien Herr, bibliothécaire à Normale, le conseiller d’Etat Léon Blum ou le député Jean Jaurès, ont compris le véritable enjeu du combat pour Dreyfus : l’alliance de la justice sociale et de la liberté, seule matrice légitime de la gauche.

Léninisme. Au contraire, les marxistes, Jules Guesde en tête, considéraient que «l’Affaire» n’était qu’une querelle interne à la bourgeoisie, qu’il était superflu de se mobiliser pour un officier d’état-major de famille aisée, abandonné par ses pairs, que la classe ouvrière avait des combats plus urgents à mener que la défense d’un juif de la haute société. Enfermés dans leurs principes socio-économiques, engoncés dans leur philosophie de l’histoire, ils oublièrent la force intrinsèque des valeurs universelles de justice et de droit, tenant ces principes pour des superstructures de l’ordre bourgeois, conformément à l’idéologie de la lutte des classes, seule source de vérité.

Cette première leçon de l’histoire de la gauche socialiste se confirme sans cesse. Duclert en rappelle les stations successives. Jaurès sut faire l’unité du mouvement ouvrier, et sa puissante personnalité conduisit le socialisme français sur le chemin du succès. Mais le marxisme progressait sans cesse : il conduisit à la scission de Tours. Contre Blum et la «vieille maison», les doctrinaires se rallièrent au léninisme, entamant la longue marche du communisme totalitaire. Le Front populaire, première victoire du socialisme réformiste, fut le rayon de soleil de l’entre-deux-guerres.

Naufragé dans la défaite de 1940, le socialisme français se reconstruisit peu à peu dans la Résistance. Mais à la Libération, rejetant l’héritage de Blum - et celui de Jaurès -, un socialisme dogmatique reprit le dessus. Prof d’anglais marxiste, Guy Mollet prit le pouvoir au nom de la pureté des principes pour conduire, dix ans plus tard, la SFIO au désastre moral et humain de la guerre d’Algérie. Seuls des marginaux, encore une fois, au nom de principes universels de justice et de liberté et non d’une philosophie de l’histoire, se mobilisèrent contre la guerre. Pierre Mendès France en fut le symbole, Alain Savary, Claude Bourdet, Daniel Mayer, Jean-Jacques Servan-Schreiber ou Jean Daniel, toutes figures situées en marge de la gauche officielle.

En 1968, alors que le PCF est débordé et que la FGDS (Fédération de la gauche démocrate et socialiste) de Mollet et François Mitterrand est oubliée, c’est encore la future «deuxième gauche», de Michel Rocard, de Mendès et de la CFDT, qui comprend le mieux le mouvement, saisit sa force de rénovation pour une gauche démocratique.

Avanies. Après 1981, le programme doctrinaire issu de l’alliance PCF-PS échoue en deux ans devant les réalités de l’économie. Il faut adopter en catastrophe les conceptions de la deuxième gauche pour espérer reprendre la main. Quand Rocard parvient enfin au pouvoir, il est en butte aux avanies du mitterrandisme finissant, réussit quelques réformes, mais échoue à changer la gauche.

Nous en sommes là, explique Duclert. Une gauche refuse de regarder en face son histoire. Pourtant son salut se trouve, à chaque échéance, dans ses marges, loin de la doctrine de l’histoire.

(1) La Gauche devant l’histoire. Ed. Seuil. 168 pages. 15 euros.

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