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FOLIO DU BLANC-MESNIL
7 mai 2023

Grâce aux mégabassines, une entreprise profite de l’argent public. Reporterre

adresse eau candidats

Derrière les mégabassines ou le barrage de Sivens, on trouve la discrète Compagnie d’aménagement des Coteaux de Gascogne. Promouvoir l’irrigation lui permet de capter des financements publics.

CACG. Trois consonnes et une voyelle. C’est un acronyme qui ne dit rien à vos oreilles. Et pourtant, la Compagnie d’aménagement des Coteaux de Gascogne (CACG), société privée dirigée par des élus départementaux et régionaux joue un rôle clé dans la création des barrages, retenues et bassines en France. Née en 1959, cette société d’aménagement régional basée à Tarbes (Hautes-Pyrénées) se veut « au service des territoires » et du « développement de la ruralité » dans le Sud-Ouest. Mais, jusqu’ici, elle a surtout répondu aux intérêts des agriculteurs irrigants (seulement un quart des exploitations françaises), en suivant un schéma bien rodé : réaliser des études sur les besoins en eau, suggérer une solution technique souvent coûteuse, se voir confier la réalisation du chantier, et profiter de larges financements publics.

Son trésor et sa vitrine : c’est le système Neste. Un ensemble de barrages, canaux et stations de pompage hérité de Napoléon qui s’étend des Pyrénées au Lot-et-Garonne, que la CACG gère pour le compte de l’État. Ce « système Neste » fournit à la fois l’eau potable pour l’agglomération d’Auch, alimente de nombreux cours d’eaux du Gers, mais soutient aussi l’irrigation. Cette dernière représente un tiers des volumes prélevés chaque année. C’est même la majeure partie de l’eau consommée en période sèche, avec un record en 2022 de 105 millions de mètres cubes. Au-delà du système Neste, la CACG gère également les réserves et les pompages pour une quinzaine de structures collectives d’irrigants (ASA) dans le grand sud-ouest ainsi qu’en Dordogne.

La Gascogne « irriguée comme jamais »

Selon les données du ministère, sur 500 000 hectares irrigués, le maïs (semences et fourrage, destinés à l’élevage) représente encore 42 % des surfaces, même s’il diminue, remplacé notamment par le soja, lui aussi gourmand en eau en été. Pas une mauvaise nouvelle pour la CACG qui a pour principal client ces agriculteurs irrigants. En 2021, la vente d’eau représentait près de 55 % du chiffre d’affaires de l’entreprise.

Source : Compagnie d’aménagement des Coteaux de Gascogne

Une dépendance qui pousse l’entreprise à orienter la plupart de ses actions vers l’irrigation : ingénierie, conseils, solutions numériques et même ventes de matériel d’irrigation. « Une approche 360 degrés », lit-on sur leur site, ce qui lui permet d’être présente à chaque étape des projets liés au stockage de l’eau. Au risque de mélanger les casquettes.

Projets controversés

Pour une entreprise de taille relativement modeste (236 salariés), la liste des affaires dans laquelle la CACG est mouillée est étonnamment longue. Elle était à l’origine du projet pharaonique du barrage de Charlas dans les Pyrénées dans les années 1980-1990, et a exploité pendant des années le barrage de Fourogue, construit illégalement dans le Tarn. La Compagnie est aussi régulièrement condamnée pour des prélèvements abusifs dans les cours d’eau, encore dernièrement en 2021.

Mais la CACG est sortie de l’anonymat avec son rôle déterminant dans le projet de barrage de Sivens, dans le Tarn. Dès 2001, la Compagnie a mené pour le compte du département du Tarn-et-Garonne une étude sur les besoins en eau de la vallée du Tescou entre Gaillac et Montauban. Elle a conclu à la nécessité de construire un barrage de 1 million de mètres cubes, réévalué en 2009 à 1,5 million, dont plus de 60 % de l’eau stockée serait destinée à l’irrigation. Tant pis si le nombre d’agriculteurs réellement intéressés était inférieur à 20. Et tant pis si l’étude d’impact avait négligé une zone humide importante, le Testet.

Sivens devint la solution unique de la CACG, comme des élus locaux, écrasant toutes autres alternatives. Après plus de cinq ans de bataille juridique menée par les associations, un an d’occupation du chantier par une zad (zone à défendre), la mort de Rémi Fraisse tué par un gendarme lors d’une manifestation d’octobre 2014 a entraîné la suspension définitive du chantier déjà entamé. La justice a annulé le projet en 2016 et l’État a été condamné en 2020.

Toujours plus de bassines

Mais il n’y a pas qu’à Sivens que la CACG a soutenu des solutions controversées. Dès 1998, l’État commandait à l’entreprise un bilan sur les besoins et ressources du marais poitevin (Deux-Sèvres). Présenté par l’État en 2001, c’est dans ce document interne qu’est apparu pour la première fois la solution des « retenues de substitution par pompage de la nappe souterraine », les fameuses bassines du Poitou. Deux ans plus tard, en 2003, les élus locaux ont confié à la même CACG la réalisation de dix bassines expérimentales : 3,2 millions de mètres cubes, pour 12 millions d’euros d’argent public. Alors que le chantier avançait, une partie du projet a été retoqué par la justice en 2008 et en 2010. Retardé, le projet a abouti en 2012 et la CACG a dès lors assuré son exploitation pour le compte de la collectivité.

Dès 1998, la CACG recommandait au gouvernement de construire des bassines dans le marais poitevin. Twitter/Bassines non merci

Une expérience fondatrice pour les autres projets de bassines qui ont fleuri ensuite, note le géographe Romain Carausse dans sa thèse consacrée aux évolutions de la CACG. Cette dernière s’est beaucoup investie dans le marais poitevin, bon filon pour créer de la ressource en eau avec d’importantes subventions publiques. En 2013, l’entreprise a remporté l’appel d’offre pour la construction de 15 bassines supplémentaires, 5 dans le bassin de la Vendée, 10 dans celui du Lay. Elle a assuré le montage du projet, la maîtrise d’œuvre, l’entretien des bassines et gère les prélèvements.

Mais 25 bassines, ce n’était pas assez. La CACG s’est donc associée à la Coopérative de l’eau 79 dans un projet de 19 retenues dans la Sèvre niortaise. Ce sont les fameuses mégabassines, dont celles de Sainte-Soline, qui ont soulevé dès 2017 de multiples oppositions. Après une médiation sous l’égide de l’État — tenue néanmoins sans le collectif Bassines non merci — le projet a été réduit en 2018 à « seulement » 16 retenues. Coût du chantier : près de 60 millions d’euros, financés à 70 % par de l’argent public. Un « projet vital », avait assuré la CACG en 2021 dans son rapport d’activités, pour lequel elle assure « l’appui réglementaire, l’ingénierie financière, l’appui environnemental » et la maîtrise d’œuvre du chantier.

Sauvée par les collectivités

Le comble c’est que le modèle de la CACG, même massivement subventionnée, n’est pas rentable. Malgré des tentatives de diversification, notamment à l’international, sa situation économique catastrophique a conduit fin 2022 les régions Occitanie et Nouvelle-Aquitaine, six départements et les banques à débourser 24 millions d’euros pour la recapitaliser. Sauvée in extremis, l’entreprise assure à Reporterre disposer désormais « d’un carnet de commande bien rempli » et mener « des transformations internes » en intégrant dans les nouveaux projets « un panel complet de solutions : fondées sur la nature, économie d’eau, évolution des pratiques… ».

Dans les Deux-Sèvres, les multiples projets de mégabassines rencontrent de vives oppositions. Ici, pendant la manifestation du 25 mars 2023. Twitter/Bassines non merci

Pas question pour autant de remettre en cause le modèle qui fait son business. Le changement climatique qui invite à repenser l’agriculture ? C’est plutôt un argument supplémentaire pour continuer à vendre du stockage de l’eau. Alain de Scoraille, agriculteur céréalier à Blanquefort adepte du couvert végétal et de l’agriculture de conservation des sols, qui regroupe près de 1 000 irrigants sur le système Neste, l’assure : « Bien sûr que les pratiques évoluent, la surface du maïs diminue et on essaie d’utiliser des variétés plus précoces ou moins gourmandes en eau ». Mais impossible, pour lui, de faire face à la raréfaction de l’or bleu sans construire de nouvelles retenues de substitution : « On a pris du retard, on aurait déjà dû créer d’autres réserves dans le système Neste ».

Ce discours, qui parie sur la permanence de précipitations en hiver pour avoir de l’eau en été, est pourtant très incertain selon les modèles scientifiques les plus récents. Mais il reste partagé par le nouveau président de la CACG, Jean-Louis Cazaubon. Il y a quelques semaines, tout en reconnaissant l’utilité des zones humides pour le stockage de l’eau, le vice-président délégué à la souveraineté alimentaire à la région Occitanie appelait même à « faire tomber les dogmes sur les retenues d’eau ». Pour en construire toujours plus ?

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