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FOLIO DU BLANC-MESNIL
2 février 2022

Victor Castanet : “L’objectif de cette enquête sur Orpea est de servir d’électrochoc” Télérama

 

 

castant victor babelio

Avec « Les Fossoyeurs », Victor Castanet, journaliste indépendant, livre une enquête à charge sur Orpea, gestionnaire privé de maisons de retraite.

Photo Philippe Matsas/Leextra via opale.photo

Il a enquêté durant trois ans. Trois ans à contacter familles et personnels des maisons de retraite gérées par le groupe Orpea. Et a réussi à mettre au jour un système où le profit prime sur tout. Rencontre avec Victor Castanet, auteur du livre choc “Les Fossoyeurs”.

C’est un séisme : paru le mercredi 26 janvier, Les Fossoyeurs (éd. Fayard) en est déjà à sa sixième réimpression et a été tiré à 115 000 exemplaires. Son auteur, le journaliste indépendant Victor Castanet, a enquêté pendant plus de trois ans pour mettre au jour une réalité terrifiante : le cynisme systématique, donc systémique, qui, par obsession du profit, prévaut dans la gestion des Ehpad du groupe français Orpea, leader mondial de la gestion de la dépendance. Avec pour conséquence immédiate une maltraitance quotidienne de leurs résidents : personnel soignant en sous-effectif, manquements aux soins les plus élémentaires, restrictions alimentaires…

Depuis la parution, le directeur général d’Orpea a été limogé, et ses dirigeants sont convoqués ce 1er février par Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l’Autonomie, qui vient d’annoncer le lancement d’une enquête administrative et d’une enquête financière. Mais Les Fossoyeurs pointe aussi les défaillances de l’État : directement impliqué dans le financement de ces établissements, il n’en est pas moins resté sourd aux alertes lancées par des familles de résidents, ces dernières années. Victor Castanet souhaite que l’ensemble des acteurs de ce dossier soient interrogés à la hauteur de la gravité des faits. « L’attente de la société est très forte », dit le journaliste. Qui nous raconte les coulisses de son travail de longue haleine et sa détermination, malgré les intimidations et les pressions subies, à le mener à terme.

En février 2019, lorsque, alerté par certains membres de son personnel soignant, vous vous lancez dans une enquête sur un établissement d’Orpea en particulier (Les Bords de Seine, la vitrine du groupe en France, à Neuilly-sur-Seine), vous êtes loin d’imaginer le système monstrueux que vous allez progressivement mettre au jour…
La maltraitance en Ehpad n’était certes pas un « scoop » : nous avons tous vu des Cash investigation, Envoyé spécial ou Complément d’enquête ayant déjà traité du sujet… Sans pour autant que leurs journalistes aillent au-delà du constat. Et sans que cette maltraitance institutionnalisée ne soit finalement prise au sérieux, puisqu’elle a pu, dans certains établissements, perdurer. Nous avons tous, collectivement, trop longtemps détourné les yeux… alors que cela fait des années que le personnel des Ehpad alerte les pouvoirs publics. Je n’étais moi-même pas particulièrement concerné au départ, mais, au fur et à mesure que j’ai découvert l’ampleur et la gravité du sujet, j’ai compris qu’il fallait que j’aille au-delà du constat – justement – pour en démonter les mécanismes et en trouver les responsables.

Comment vous y êtes-vous pris ?
À force de rayonner un peu partout en France (Finistère, Yonne, Hérault, Lot-et-Garonne, Aisne…), à la rencontre de témoins parmi les familles de résidents ou le personnel soignant (plus de deux cents entretiens enregistrés, auprès de cadres infirmiers, aides-soignants, auxiliaires de vie…), j’ai fini par interviewer d’ex-employés de très haut niveau hiérarchique, prêts à décrire méthodiquement le système mis en place, parfois même à visage découvert. Le secret bien gardé de ce système Orpea était trop lourd à porter. Trop destructeur de vies humaines. Certains de ces témoins doivent à mon sens être considérés comme de véritables lanceurs d’alerte et bénéficier de la législation en vigueur.

“Tous les ex-salariés que j’ai pu interviewer sont restés durablement perturbés par ce système vicié.”

Dans votre livre, vous décrivez un véritable management par la peur…
De nombreux témoignages me l’ont en effet rapporté. L’hiatus est impressionnant entre d’un côté des établissements de soin, destinés à prendre en charge des personnes vulnérables, où donc est censée régner la plus grande humanité pour les protéger, et de l’autre la violence et l’opacité de la gestion de ces lieux. Sur la planète Orpea – le groupe est présent dans vingt-trois pays, sur trois continents, avec plus d’un millier d’établissements –, on prend parfois des libertés avec le droit du travail. Il arrive aussi, d’après les témoignages que j’ai recueillis, qu’on licencie pour faute grave de manière abusive… Il existe même des « directeurs nettoyeurs » (sic) pour cela. À l’inverse, la docilité est gage de promotion… Tous les ex-salariés que j’ai pu interviewer sont restés durablement perturbés par ce système vicié. C’est un choc traumatique véritable, qui a pu aller, chez certains, jusqu’à la dépression ou même la tentative de suicide…

Dans son livre « Les Fossoyeurs », Vincent Castanet révèle que le groupe Orpea qui gère des maisons de retraite en France et à l’étranger prenne des libertés avec le droit du travail.

Dans son livre « Les Fossoyeurs », Vincent Castanet révèle que le groupe Orpea qui gère des maisons de retraite en France et à l’étranger prenne des libertés avec le droit du travail.

Photo Laurent GRANDGUILLOT/REA

Vous-même, vous dites avoir été à plusieurs reprises intimidé voire menacé lorsque le groupe Orpea a commencé à prendre la mesure de votre travail…
Au départ, cette enquête devait faire l’objet d’un simple article dans un grand quotidien national généraliste : Orpea en a appelé la direction pour me disqualifier, prétendre que je ne respectais pas les règles de déontologie du journalisme et demander que je cesse mon travail d’investigation. Cela n’a heureusement pas dissuadé ma maison d’édition, que je veux saluer pour son soutien exceptionnel. Elle aussi a reçu des coups de fil, qui se voulaient intimidants. Certaines de mes sources également ont été dissuadées de parler. Quelques-unes ont effectivement renoncé à le faire, le jugeant trop risqué. Et, bien sûr, j’ai été moi-même directement contacté, à plusieurs reprises, menacé par exemple d’être traduit en justice. J’ai même appris, à la fin de mon travail d’enquête, via deux sources distinctes, qu’une grande société de surveillance nationale privée m’espionnait...

“La vérité du système Orpea n’aurait jamais pu voir le jour sans le courage de tous ceux ayant accepté de témoigner.”

Finalement, voyant que vous ne cédiez pas, Orpea a tenté de vous soudoyer : un intermédiaire que vous rencontrez dans un café parisien vous propose 15 millions d’euros en échange de votre silence ! On dirait une mauvaise fiction...
Justement, pour cette raison, je préfère ne pas revenir sur cet épisode – je le mentionne dans mon livre, c’est suffisant. Car je ne veux pas faire de cette enquête une intrigue rocambolesque dont je serais le protagoniste, voire le héros. La vérité du système Orpea – son modèle économique, ses emplois fictifs, ses dissimulations lors des visites de contrôle des inspecteurs des agences régionales de santé (ARS), ses liens privilégiés avec certains politiques… – n’aurait jamais pu voir le jour sans le courage de tous ceux ayant accepté de témoigner. C’est grâce à eux que Les Fossoyeurs existe. C’est bien pourquoi, dans les mois qui viennent, je vais rester à leurs côtés. Je le leur dois. Et puis, trop insister sur les coulisses de cette enquête est une autre façon de détourner les yeux de son contenu, qui seul doit retenir notre attention.

Votre mobilisation reste totale…
Je ne lâcherai jamais. Vous n’imaginez pas le nombre de mails et d’appels que je reçois chaque jour de simples citoyens, de médias étrangers, de politiques… L’attente de la société est immense, c’est le moment pour qu’enfin ce système de prise en charge de nos aînés soit interrogé et refondé en profondeur. Cela suffit de diluer les responsabilités. C’est tout l’objectif de ce livre : qu’il crée un électrochoc. De fait, la déflagration est immense. Inédite.

> Lire aussi : “Ehpad : la ‘maltraitance institutionnelle’ pointée du doigt par la défenseure des droits”


À lire
Les Fossoyeurs, de Victor Castanet, éd. Fayard, 400 p. 22,90 €.

 

ENSEMBLE SAUVONS LA RESIDENCE MARIA VALTAT

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