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FOLIO DU BLANC-MESNIL
14 juillet 2021

Guadeloupe: la vie sans potable le long du fedeer Article de la coordination de l'eau Médiapart

 

 

L’accès à l’eau potable est un droit fondamental. Pourtant, l’eau manque en Guadeloupe. Les associations de défense des usagers réclament une refonte du système. Le système de canalisations construit dans les années 1960 n’a pas été entretenu, des conflits entre certaines collectivités locales et la Générale des eaux (Veolia), la vétusté des structures, la contamination d’une partie des ressources par le chlordécone sont autant de freins à la bonne distribution de l’eau. C’est une situation invivable pour les Guadeloupéens, victimes de « tours d’eau » et de coupures le long du feeder de Belle-Eau-Cadeau, colonne vertébrale du réseau d’eau, censé alimenter une bonne partie de l’archipel.

  1. Capesterre-Belle-Eau, le 9 juin 2021. L’usine de Belle-Eau-Cadeau est « le cœur du réacteur » pour Olivier Serva, député La République en marche de Guadeloupe et rapporteur de la commission d’enquête parlementaire sur l’eau, lors de sa visite en juin 2021.

    Situé sur la commune de Capesterre-Belle-Eau sur la Basse-Terre, au pied du volcan de La Soufrière, le site est connu pour être l’un des endroits les plus arrosés du globe, avec 8,5 mètres par année en moyenne de précipitations, selon Météo France. Pour avoir une idée de l’ordre de grandeur, les régions les plus pluvieuses de France (Jura et Pays basque) se situent autour de 1,6 mètre en moyenne annuelle, et Paris est à 0,63 mètre. Les installations sont délabrées, les fuites d’eau sont visibles sur la structure elle-même. Aucune sécurité n’est assurée à l’entrée. Le grillage est abattu, le portail est grand ouvert, remplacé par une simple chaîne. N’importe qui peut y accéder. Pourtant, c’est ici que débute le plus long circuit d’eau de l’archipel : un feeder de 120 kilomètres. Un feeder est une canalisation de grand diamètre qui constitue l’épine dorsale d’un système de distribution d’eau et permet de relier les différents réservoirs au réseau de distribution. En Guadeloupe, il y a plusieurs feeders, tant pour l’irrigation que pour l’eau potable. Le feeder de BEC (Belle-Eau-Cadeau) est le principal pour l’eau potable.

    Construit dans les années 1960, il achemine plus de 28 millions de m3 d’eau par an, soit 40 % de la production d’eau potable guadeloupéenne, selon un rapport de l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea).

  2. Capesterre-Belle-Eau, le 15 juin 2021. La députée Mathilde Panot (LFI), présidente de la commission d’enquête parlementaire, avec Marcel Bulgare, chef de l’usine de Belle-Eau-Cadeau, inspectent une des sources de l’usine. Les sources sont juste en amont.

    Marcel Bulgare, chef de l’usine de Belle-Eau-Cadeau, où il travaille depuis trente-six ans, ouvre le cadenas rouillé d’une trappe d’accès, au milieu d’une végétation luxuriante. Nous sommes à une centaine de mètres au-dessus de l’usine de Belle-Eau-Cadeau. Cinquante centimètres sous nos pieds, l’eau dévale d’une des six sources qui alimentent l’usine, le point de départ de l’alimentation du feeder. Cette eau, après avoir été purifiée, devrait atteindre les robinets de Saint-François, à 80 kilomètres de là, et arriver jusqu’à l’île de La Désirade, à l’extrémité du réseau, par une canalisation sous-marine. La Côte-au-Vent de Basse-Terre est considérée comme le château d’eau de Guadeloupe, en raison de ses précipitations et du nombre des usines de production d’eau potable.

  3. Capesterre-Belle-Eau, le 9 juin 2021. Une fuite d’eau au bord de la route. En raison du manque d’entretien du réseau et des « tours d’eau », des coupures programmées d’un secteur à l’autre, qui exercent une surcharge sur des systèmes déjà défectueux, le nombre de fuites est effrayant. Le taux de perte à l’échelle de la Guadeloupe est en moyenne de 61 % en 2018, contre 20 % en moyenne dans l’Hexagone.

    Sur le site de l’usine de Belle-Eau-Cadeau, Jean-Louis Tondu, responsable de la distribution d’eau au SIAEAG, Syndicat intercommunal d’alimentation en eau et d’assainissement de la Guadeloupe, explique qu’il y a « pas mal de conduites vétustes et la dégradation commence au premier piquage » « Nous ne sommes pas très nombreux pour réparer ce genre de choses. Ce qui importe, c’est la rapidité. Si on ne répare pas rapidement, ça se dégrade vite et il y a un impact sur le feeder. » Cette situation a des conséquences sur l’environnement : pour compenser les fuites du réseau et le manque de pression, il faut prélever une plus grande quantité d’eau. Cela a pour conséquence de réduire fortement le niveau des rivières, au point que l’étiage minimal ne pourra être garanti pour la vie aquatique, surtout dans les rivières de Basse-Terre, selon le rapport de l’Observatoire de l’eau de 2020. En Grande-Terre et à Marie-Galante, le prélèvement d’eau dans les nappes phréatiques est si important que l’eau salée remonte. Les techniciens alertent sur l’affaiblissement des nappes phréatiques et le risque de salinisation. Ce qui pourrait compromettre définitivement les ressources souterraines.

  4. Goyave, le 19 juin 2021. Sur une partie du territoire guadeloupéen, avoir de l’eau potable au robinet 24 heures/24 est devenu un luxe ces vingt dernières années. Nous rencontrons José Lacrosse, 78 ans, à la sortie d’un supermarché, son chariot rempli de bouteilles d’eau. Comme lui, la majorité des habitants de l’archipel est obligée d’acheter de l’eau minérale en raison de la pollution de l’eau potable et de sa rareté au robinet. « Je ne bois plus l’eau du robinet », raconte-t-il en chargeant huit packs d’eau à l’arrière de son pick-up blanc. « Dans mon enfance, on buvait l’eau de la rivière mais maintenant, tout est chlordéconé, souffle-t-il. On est contaminés, donc on est obligés. »

    Si l’Agence régionale de santé recommande de boire l’eau au robinet en Guadeloupe, il arrive que les seuils d’alerte au chlordécone soient dépassés, comme récemment à Gourbeyre, dans le sud de la Basse-Terre, où l’eau a été déclarée impropre à la consommation le 10 juin dernier. Cette zone de l’île coïncide en partie avec les régions où sont cultivées les bananes. Pendant 22 ans, jusqu’en 1993, les agriculteurs ont utilisé un insecticide à base de chlordécone, interdit aux États-Unis depuis 1976 en raison de sa forte toxicité, pour anéantir le charançon, un insecte qui ravageait les cultures et qui est aujourd’hui combattu avec de simples pièges. Cette molécule a contaminé les sols et les sources, pour une durée estimée jusqu’à six siècles. Environ 95 % de la population guadeloupéenne est contaminée, d’après l’étude Kannari de Santé publique France publiée en 2018.

  5. Capesterre-Belle-Eau, le 9 juin 2021. Pour enlever les molécules de chlordécone dans l’eau de consommation, des filtres à charbon actif ont été installés dans certaines usines d’eau en Guadeloupe comme à Capesterre-Belle-Eau, à Trois-Rivières et à Gourbeyre, depuis 2000. Les charbons actifs arrivent de Chine et de Belgique. « Certaines années, on peut être à 150 tonnes ou 100 tonnes de charbon actif importé. Cela dépend du rythme de renouvellement dans les usines », explique à Mediapart Xavier Marc, responsable d’exploitation chez ACPM Ingénierie, qui s’occupe de la gestion des filtres sur l’archipel. Une fois le charbon épuisé, il est chargé « directement dans des conteneurs que nous expédions en Belgique pour être régénéré à l’usine, à des températures comprises entre 800 et 1 500 degrés ».

    De nombreux chercheurs, dont Antoine Richard, ingénieur de recherches à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, alertent sur le fait que le chlordécone n’est pas la seule substance nocive présente dans le sol et l’eau des Antilles, qui sont également chargés en glyphosate et fongicides. Plusieurs études sont en cours pour évaluer l’effet cocktail et son impact sur la vie humaine.

  6. Gourbeyre, le 17 juin 2021. L’Office de l’eau en Guadeloupe est chargé de vérifier la qualité de l’eau en milieu naturel, comme d’accompagner les opérateurs de l’eau et de l’assainissement. Il a également pour mission de cartographier et de créer un modèle 3D du réseau de distribution de l’eau en Guadeloupe.

    Aussi improbable que celui puisse paraître, il n’existe pas de cartographie complète ni de recensement précis des structures qui constituent le réseau. Un handicap supplémentaire pour réparer les fuites. Dominique Laban, directeur de l’Office de l’eau en Guadeloupe, tire la sonnette d’alarme sur les défaillances du réseau : « On est dans une situation de crise qui dure depuis plus de dix ans, et qui met à nu les déboires auxquels on est confrontés, à savoir un volume de fuites très élevé. On prélève sur les milieux naturels plus de 100 millions de m3 d’eau par an. Dans ces prélèvements, on en perd la moitié. C’est une situation préoccupante, car quand on pèse sans arrêt sur les milieux naturels, on a un impact sur la continuité écologique. »

  7. Baie-Mahault, le 14 juin 2021. Près du pont de la Gabarre, qui relie Basse-Terre et Grande-Terre, se trouve un point de passage pour divers feeders, dont celui de Belle-Eau-Cadeau. Sur ce chantier à ciel ouvert, il n’y a aucune trace d’ouvriers et divers matériaux gisent au sol, en train de rouiller et d’être envahis par la végétation. Dans le cadre de la mission d’urgence lancée par la préfecture en 2020, l’entreprise Karuker’Ô, filiale de Suez, a été réquisitionnée pour réparer près de 4 000 fuites en huit mois.

    Depuis 2013, une procédure d’urgence a été mise en place : les tours d’eau. Pensés pour être éphémères au départ, les tours d’eau rythment le quotidien de nombreux Guadeloupéens depuis des années. Les communes particulièrement touchées par le manque d’eau, comme Capesterre-Belle-Eau, Les Saintes, La Désirade, Goyave, Les Abymes, Le Gosier, Sainte-Anne et Saint-François, doivent suivre un planning de coupures programmées en alternance.

    Malgré une promesse d’Emmanuel Macron en 2018 d’y mettre fin en deux ans, les tours d’eau continuent, ce qui contribue à accélérer la détérioration des canalisations. En outre, dans de nombreux secteurs, les tours ne sont pas respectés et durent parfois plusieurs jours.

  8. Capesterre-Belle-Eau, le 9 juin 2021. « Il faut un plan Marshall, mettre en place une nouvelle canalisation d’un bout à l’autre de l’île », martèle Germain Paran, 71 ans, militant historique et président du Comité de défense des usagers de l’eau de la Guadeloupe.

    Dans son bureau, une petite pièce aux murs recouverts d’articles de journaux et de photographies, il nous montre une partie de ses archives, dans lesquelles il rassemble méticuleusement les preuves de la gabegie de l’eau. « Ça fait plus de vingt-cinq ans que je me bats. J’ai fait des barrages de route, on a résisté. Encore aujourd’hui, à 71 ans, je me bats avec la justice pour faire condamner les gens qui ont détourné des fonds. Ils se sont servis avec l’argent de l’eau », tonne-t-il. En désespoir de cause, il a porté son combat aux élections régionales de 2021, en rejoignant une liste soutenue par le RN.

  9. Usine de Capès Dolé à Gourbeyre, le 18 juin 2021. Le marché de l’eau en bouteille représente environ 80 millions de bouteilles par an, selon les données de la direction financière de Capès Dolé. Les trois marques d’eau en bouteille guadeloupéennes, Capès Dolé, Karuline et Matouba, détiennent environ 70 % du marché. « Le fait qu’il n’y ait pas d’eau de manière régulière dans le robinet, c’est évident que cela induit une augmentation de consommation d’eau embouteillée », reconnaît Denis Collidor, ancien directeur de Capès Dolé.

    Jean-Claude Pitat, propriétaire de la marque Capès Dolé, a été le premier à porter plainte contre X au sujet du chlordécone. En 2000, l’eau de source qu’il met en bouteille à Gourbeyre a été contaminée par le pesticide. En conséquence, l’eau a dû être filtrée au charbon actif pour être commercialisée. La marque a perdu le droit de la commercialiser avec l’appellation « eau de source ». Le concurrent de Capès Dolé, Karuline, traite directement l’eau du robinet, avant de la mettre en bouteille. L’eau du réseau public est ainsi filtrée une deuxième fois avant d’être vendue en supermarché. « C’est assez unique en France », reconnaît son directeur Rodolphe Payen. « On a eu beaucoup de critiques au début car on est soi-disant l’eau du robinet, mais elle est de qualité. Nous avons des normes plus drastiques », se défend-il.

  10. Mare-Gaillard (Le Gosier), le 10 juin 2021. Le collectif Nous voulons de l’eau au robinet a été créé en 2020 en réaction à une coupure d’eau de plus de deux semaines, sans informations des autorités.

    La maison de Natacha Lorange, cofondatrice du collectif, est située au sommet d’un morne (une colline aux Antilles), à Mare-Gaillard, au-dessus de la nationale. Cette route stratégique a été bloquée par les habitants pour protester contre le manque d’eau, début 2020. Comme d’autres habitants du quartier, Natacha a reçu deux citernes de la municipalité, dont une pour recueillir les eaux de pluie. Mais l’eau collectée n’est pas potable. « Il faut compter une trentaine d’euros par semaine pour acheter de l’eau en bouteille, car nous sommes quatre », calcule-t-elle. Sans eau courante, elle a choisi de rejoindre le mouvement de désobéissance civile. « J’ai décidé d’arrêter de payer l’eau il y a cinq ans. Je n’ouvre pas les factures. Je ne peux pas payer un service que je n’ai pas. » En Guadeloupe, le taux d’impayés des factures d’eau atteignait 33 % en 2018, alors qu’il ne dépasse pas les 2 % dans l’Hexagone, selon le rapport de l’Observatoire de l’eau de 2020.

  11. Le Gosier, le 20 juin 2021. Des compteurs d’eau obsolètes, vandalisés, cassés, défectueux ou trafiqués bordent les rues. En 2018, selon des données de l’OFB, le prix moyen du mètre cube d’eau potable en Guadeloupe est de 3,20 euros, contre un prix moyen de 2,07 euros dans l’Hexagone. Le prix de l’eau en Guadeloupe est le plus élevé de France.

  12. Le Gosier, le 20 juin 2021. Depuis cinq ans, Kristy Manlius, 22 ans, mère d’une fille de 2 ans et habitante du quartier de Labrousse au Gosier, vit sans eau.

    Ce quartier, situé en hauteur sur une colline, est l’un des points noirs du réseau où des habitants n’ont pas d’eau depuis des années. « Je me réveille à 5 heures du matin pour aller chercher de l’eau avec un petit seau. Ensuite, je chauffe l’eau pour la douche pour ma fille », raconte la jeune femme, en formation pour un diplôme d’État d’accompagnement éducatif et social. Sur sa terrasse, des dizaines de bouteilles en plastique, vides ou pleines, sont soigneusement entassées. Une citerne d’eau potable de 55 litres à roulettes et un caddie rempli de bouteilles vides complètent son système D pour récupérer de l’eau. Le long du mur, un long tuyau gris achemine l’eau de pluie du toit vers une grande citerne de 1 000 litres installée dans le jardin. « J’ai une fille en bas âge de 2 ans. Je ne peux pas lui donner de l’eau du robinet. J’achète de l’Evian, je n’ai pas confiance dans les eaux en bouteille locales. Ce n’est pas assez propre. J’achète trois packs par jour d’Évian, à 3,80 euros le pack », détaille-t-elle. Soit un budget de 382 euros par mois d’eau en bouteille. Les habitants du quartier attendent l’installation d’un surpresseur en contrebas. Un espoir pour que l’eau soit enfin propulsée jusqu’à leur maison.

  13. Le Gosier, le 16 juin 2021. Amélius Hernandez, ancien président du Syndicat intercommunal d’alimentation en eau et d’assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG), a été l’un des patrons de l’eau sur l’archipel. Le SIAEAG, la régie qu’il dirigeait, est en voie de dissolution après des années de mauvaise gestion.

    En novembre 2019, il a été condamné à trois ans de prison, dont deux avec sursis, pour détournement de fonds publics et favoritisme, notamment pour l’organisation de voyages et de « Journées de l’eau » fastueuses, sur une période courant de 2007 à 2014. Avant l’entretien, il montre le bracelet électronique qu'il porte à la cheville gauche et précise : « J’ai eu le bracelet le 14 mai, je dois le garder neuf mois. »

    Malgré sa condamnation en justice et un rapport étayé de la Cour des comptes de 2012 pointant des dépenses injustifiées de délégations du SIAEAG, notamment dans des hôtels de luxe, l’ancien président n’en démord pas. « Personne n’a réussi à prouver que j’ai fait un détournement pour mon compte personnel. On m’a tout pris. J’ai organisé des manifestations et assumé ma présidence. J’ai été un président de haut niveau », s’emporte Amélius Hernandez. Lui pointe plutôt la responsabilité de la Générale des eaux et celle des communes. Il est considéré par beaucoup comme un bouc émissaire des problèmes de l’eau en Guadeloupe.

    Ses responsabilités, réelles et graves, ne sont que la partie émergée de l’iceberg, qui se caractérise par un cocktail d’incompétence, de laxisme, de recherche de profits et de batailles politiques.

  14. La Moule, le 17 juin 2021. Une vingtaine d’hommes et de femmes entre 30 et 40 ans, calmes mais déterminés, avec un tee-shirt noir portant le logo du mouvement Moun Gwadloup, se sont donné rendez-vous dans la zone commerciale de La Moule. Là, se trouvent les bureaux de Karuker’Ô (Suez), l’une des entreprises chargées de la gestion du réseau d’eau qui a été réquisitionnée par la préfecture en 2020 afin de rétablir un service d’eau minimum.

    L’action a duré une trentaine de minutes, dans le calme. Une fois entrés en nombre dans le bureau, seul Ludovic Tolassy, 40 ans, porte-parole et membre fondateur du mouvement citoyen, est resté à l’intérieur pour discuter avec les employés afin d’obtenir une rencontre avec le directeur Cyrille Hammouda, qui n’était pas présent. « On combat contre les multinationales pour que cette ressource en eau reste gérée par la population, reste un bien public et qu’il n’y ait pas de mainmise des multinationales », raconte-t-il à Mediapart.

    Moun Gwadloup est un mouvement citoyen qui partage toutes les manifestations en direct sur les médias sociaux. Leurs actions chocs ont valu aux militant·e·s des coups de matraque et des gardes à vue. Yannis Chipotel, un autre pilier du mouvement, compte bien faire avancer les choses. « Ici, en Guadeloupe, ça va faire 30 ou 40 ans qu’on est dominés par une gérontocratie. C’est une équipe de petits vieux qui ont décidé de bouffer tout le gâteau de la Guadeloupe, de ne rien laisser pour les plus jeunes et encore moins pour les générations à venir », constate-t-il.

  15. Le Gosier, le 19 juin 2021. Au bord de la route nationale, entre le rond-point et la boulangerie, la fontaine publique de Grande-Ravine émerge d’un mur circulaire de briques rouges.

    Pour la faire fonctionner, il faut ouvrir le robinet du compteur qui est caché derrière. Ici, l’eau coule abondamment. Georgette, 76 ans, le dos plié en deux, vient y remplir ses bidons. Chez elle, elle souffre de la situation au quotidien : « Il ne faut pas habiter aux mornes, il n’y a pas d’eau ! » Les mornes, des collines typiques aux Antilles, sont particulièrement touchés par les coupures car il faut davantage de pression pour alimenter les tuyaux. Brice et Vanessa, David, Georgette, Thierry... Tous se succèdent en voiture ce dimanche matin, ouvrent le coffre, déchargent des bidons, des bouteilles, des seaux. Ils attendent tranquillement, les uns après les autres, pour faire le plein d’eau. 100, 200 litres parfois. Ils chargent les voitures et rentrent chez eux dans un périmètre de 5 kilomètres, aux Abymes, à Labrousse ou au Gosier.

    Malgré le fait qu’ils aient des citernes pour l’eau de pluie à la maison, ils doivent venir à la fontaine plusieurs fois par semaine. David, 46 ans, ajoute : « Chaque jour, nous utilisons 200 litres, nous sommes quatre personnes, et nous ne gaspillons rien, nous récupérons même l’eau de la clim ! » Il se remémore le confinement avec amertume : « Durant la période de Covid-19, je n’avais pas d’eau. Je sortais quand même pour prendre l’eau. On nous disait : “Il faut se laver les mains…” »

  16. Le Gosier, le 13 juin 2021. Betty Bebel, 51 ans, vit dans une maison à Labrousse, presque au sommet d’un morne, une petite colline à seulement 50 mètres au-dessus du niveau de la mer. À cette hauteur, l’eau n’arrive jamais. Il n’y a pas assez de pression. Elle fabrique du savon à la maison, mais l’eau ne coule plus de son robinet.

    À 51 ans, elle est obligée d’aller chez une amie pour faire la lessive. L’eau n’arrive quasiment plus depuis des années. « Plus on est en hauteur, moins il y a d’eau ! », s’exclame-t-elle. Depuis, elle milite avec les habitants du quartier pour obtenir de l’eau courante. Sa mère, qui vit à quelques mètres de là, a été obligée de s’endetter pour acheter une citerne et recueillir de l’eau de pluie. « On est dans la galère en permanence. Nous sommes abandonnés, déplore Betty. On aimerait au moins être dans les tours d’eau. »

  17. Saint-François, le 14 juin 2021. Le mot-dièse #BalanceTonSIAEAG est né il y a deux ans, comme un simple slogan pour exprimer une colère face au manque d’eau et aux défaillances de la régie, sur Facebook. Aujourd’hui, c’est une association qui compte 3 690 sympathisants et 270 adhérents. Christian Deligat, porte-parole et trésorier (à gauche), et Patrick Verdoncq, président de l’association, vivent à Saint-François, presque à l’extrémité du feeder BEC.

    Christian Deligat est à la retraite. Patrick Verdoncq vit depuis dix ans en Guadeloupe. Il est restaurateur et s’est retrouvé obligé d’installer un système de citernes pour la somme de 3 500 euros pour garder son commerce ouvert. En juin 2020, l’association a mené une action collective en justice. Le tribunal administratif de Basse-Terre a condamné le fournisseur d’eau à livrer des packs d’eau à environ deux cents victimes.

  18. Saint-François, le 14 juin 2021. Pendant que Christian Deligat nous montre un tableau dans lequel il recense des coupures d’eau signalées par les habitants sur Facebook, la discussion est interrompue : il n’y a plus d’eau chez eux.

    De retour de la plage, son épouse a besoin d’aide pour mettre en marche la pompe reliée aux citernes et prendre une douche. Cette manipulation est devenue une routine. Patrick Verdoncq commente : « On est en bout de réseau et on subit le problème. » Rien de prometteur pour la saison à venir. « Les touristes demandent en premier s’il y a de l’eau. Le wifi, tout le monde l’a. Les citernes deviennent un argument commercial, poursuit-il. Bientôt, on aura la 5G en Guadeloupe. C’est bien, mais on n’a pas d’eau. » Selon différents experts, il faudrait un milliard d’euros pour remettre en état le réseau.

    * Dans la série « Water Stories », le collectif de journalistes indépendants We Report explore les dessous des batailles pour l’eau en France et en Europe. La série d’enquêtes est soutenue par Journalismfund.eu, Netzwerk Recherche et Olin gGmbH.

     

  19.  

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