Les tribunes, la pétition de plus de 65 000 signatures ou les interpellations d’élus n’y auront rien fait. Le gouvernement ne compte pas renoncer à l’ouverture d’un marché public sur le 3919, la ligne d’écoute nationale pour femmes victimes de violences et donc sa mise en concurrence. La Fédération nationale solidarité femmes (FNSF), créatrice et gestionnaire de cette ligne depuis 1992, se voit donc obliger de faire appel à la justice.

«Considérant que ce marché public est illégal et met en péril la qualité du service d’écoute, la FNSF a décidé d’introduire un "référé précontractuel" devant le tribunal administratif de Paris par lequel l’association demande l’annulation de la procédure», indique le communiqué de presse de la FNSF envoyé ce mercredi. «Par cette action, la procédure de passation, qui devait être close le 1er février, est désormais suspendue à la décision du juge.» La Fédération a décidé au regard des conditions de ce marché public de ne pas postuler à l’appel d’offres. Contacté par Libération, le ministère chargé de l’Egalité entre les femmes et les hommes «prend acte» de la décision de la FNSF et «examine les suites qui peuvent y être données».

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Flash-back : le jour de l’ouverture du Grenelle des violences conjugales (date ô combien symbolique, le 3/9/19), Libération avait suivi l’immersion d’Emmanuel Macron auprès des écoutantes de Violence femmes info. «Vous pourriez ouvrir vingt-quatre heures sur vingt-quatre et vous étendre à cet étage ?» avait interrogé le chef de l’Etat. Mauvaise surprise, plus d’un an après cette interrogation, plutôt que de rallonger les subventions de la FNSF pour parvenir à cet objectif, le gouvernement a opté pour l’ouverture d’un marché public. Se réfugiant derrière des dispositions légales pour évacuer cette option, la ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, Elisabeth Moreno, avait voulu rassurer les associations féministes en assurant que ce marché se fera dans le cadre de l’économie sociale et solidaire (ESS).

«Marché de dupes»

Pourtant, «la poursuite de la gestion du 3919 grâce aux subventions de l’Etat est parfaitement légale. La loi exclut formellement les subventions du champ de la mise en concurrence», affirme dans le communiqué Me Emmanuelle Yvon, avocate de la FNSF.

«Conformément aux mesures issues du Grenelle, l’intention du gouvernement est de créer un véritable service public avec des objectifs qualitatifs renforcés : vingt-quatre heures sur vingt-quatre ; sept jours sur sept ; toute couverture des territoires de métropole et d’outre-mer, accessibilité aux personnes sourdes et aphasiques», rétorque de son côté le ministère, en notant que «la FSNF souhaite au contraire que ce service reste géré par une structure associative privée, là où l’Etat souhaite un service public».

Réserver ce marché aux acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) est un «marché de dupes» dénonce Solidarité femmes. «La loi prévoit qu’un marché ouvert uniquement à l’ESS ne peut être attribué deux fois de suite au même prestataire.» Ainsi, si la FNSF avait postulé et remporté le marché, «dans trois ans, elle sera[it] obligatoirement écartée si le marché reste réservé à l’ESS». Dans le cadre contraire, «si le marché est ouvert à toutes les entreprises, les associations de la FNSF se retrouveront en concurrence avec des entreprises de téléphonie privées en recherche de profit, auxquelles l’Etat aura préalablement transmis le savoir-faire de la FNSF afin de garantir l’égalité de traitement des candidats».

Le ministère répond : «Initialement, elles avaient peur que cet appel d’offres soit mercantile, on le réserve au monde associatif et à l’ESS et là un nouvel argument sort sur ce qu’il se passerait dans trois ans, ça fait beaucoup d’hypothèses…»