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FOLIO DU BLANC-MESNIL
24 juillet 2019

ARRETEZ LA FOLIE D'EUROPA CITY! Article d'Eric Aeschimann

eurapa city non

Monsieur le président, arrêtez la folie Europacity !

Fin juin, des tractopelles ont creusé, sur 500 mètres, la tranchée destinée à la canaliser les eaux usées de la future gare de la ligne 17 du métro. (Éric Aeschimann)

A Gonesse, l’État prépare pour demain les émissions de CO2 contre lesquelles il prétend lutter aujourd’hui. Et si on faisait un vrai écogeste en arrêtant ce projet absurde ? Par Éric Aeschimann Publié le 23 juillet 2019 à 11h45

Monsieur le président, je voudrais vous raconter l’histoire d’une canalisation. L’histoire d’un tout-à-l’égout de grande banlieue. Cet égout n’est pas anodin : il annonce la destruction de centaines d’hectares de terres agricoles. Il engage nos modes de vie pour un demi-siècle. Vous seul avez désormais le pouvoir d’arrêter le bulldozer qui doit l’installer. Fin juin, au début de la première canicule, des tractopelles, envoyés par la Société du Grand Paris, ont creusé, sur 500 mètres, la tranchée destinée à la canaliser les eaux usées de la future gare de la ligne 17 du métro. Si rien n’est fait rapidement, ces premiers coups de bulldozers conduiront immanquablement à la bétonisation de 300 hectares de terres agricoles du Triangle de Gonesse. Et selon toute probabilité, à l’érection d’un monstre commercial qui émettra autant de CO2 qu’une ville de 140 000 habitants… mais sans aucun habitant.

Une gare absurde et inutile Difficile, quand on va sur place contempler cette balafre, de ne pas ressentir une profonde tristesse. Et peut-être une sorte de désespoir. Pour le moment, ce n’est qu’une bande de terre, large d’une dizaine de mètres : pas de quoi fouetter un aménageur, direz-vous. Et puis, qui peut être contre une gare ? Et pourtant si : il faut être contre une gare absurde, inutile, conçue non pour les habitants de Gonesse – puisqu’il faudra un bus pour venir du centre-ville, à 2 kilomètres de là – mais pour la clientèle d’un mégacomplexe de commerces et de loisirs, imaginé par le groupe Auchan, avec 500 boutiques, des hôtels de luxe, des restaurants, un aquacenter et un « snowpark ».

Oui : on construit un RER pour desservir une piste de ski artificielle… Cette gare, monsieur le président, est un dévoiement de l’usage des fonds publics, un détournement des politiques d’aménagement, un hold-up politique et moral. Cette gare ne luttera pas contre le réchauffement climatique, au contraire, elle y contribuera.

Un collectif lutte depuis huit ans contre ce projet. 2 Un collectif lutte depuis huit ans contre ce projet, qui répond au nom extrêmement original d’Europacity. Cette information n’aura sans doute guère d’effets sur vous. J’imagine votre haussement d’épaules : « Ce n’est pas une poignée de militants qui va arrêter les projets de développement. » En vérité, plusieurs milliers de personnes viennent aux fêtes de soutien, des professionnels de tout horizon se mobilisent pour élaborer un autre avenir pour le Triangle, des intellectuels prestigieux, des architectes de renom et des restaurateurs célèbres appuient ce combat. Mais il est probable que tous ces gens resteront à jamais pour vous une poignée de militants. Et une poignée de militants, forcément, ça ne vaut pas une poignée de ministres, une poignée de décideurs, une poignée de main avec des investisseurs.

« Et l’emploi ? », allez-vous objecter. Quand ils recourent à cet argument, les défenseurs du projet ont toujours un petit ton d’évidence, vaguement méprisant : Europacity promet 10 000 emplois, comment peut-on être contre 10 000 emplois ? En vérité, ce chiffre est un leurre. Pour une part (probablement la moitié), il viendra de la destruction des emplois des commerces de centre-ville – destruction contre laquelle vous pourrez dès lors organiser de pieuses réunions interministérielles. Quant à l’autre partie, elle sera certes le fruit d’une activité économique nouvelle, mais laquelle ? Une activité consistant à faire venir de toute l’Europe plusieurs millions de visiteurs (l’objectif d’Auchan est de 31 millions d’entrées par an, deux fois plus qu’à Disneyland) pour qu’ils fassent des courses ici et non chez eux.

Pour le dire autrement : un État, qui prétend lutter contre les émissions de CO2, s’apprête à déployer un immense dispositif urbanistique, commercial, routier, ferroviaire et aéroportuaire dans l’unique but de créer une destination touristique entièrement artificielle. Le tourisme, ici, ne vise pas à permettre l’échange des cultures, mais seulement à faire pousser de l’argent sur des dalles de béton (où il fera chaud à crever les jours de canicule). Et tout cela, pour un bilan carbone qui réduira à néant tous les « écogestes » que l’on demande aux citoyens. Aujourd’hui, l’État finance la construction d’une machine à émettre du CO2 ; dans dix ans, votre successeur dira, en se drapant dans sa vertu morale : « Ces citoyens qui se précipitent à Europacity pour faire du ski en pleine canicule sont de dangereux irresponsables ! Une taxe carbone va les remettre dans le droit chemin. »

Le Triangle de Gonesse, cerné par 2 aéroports et 2 autoroutes .(Carma) Monsieur le président, il se trouve que ce triangle agricole balafré par les bulldozers du Grand Paris est un joyau. Sur ces terres de Gonesse, comme dans tout ce « pays de France » du nord-est de la capitale, la terre est meuble, limoneuse, profonde. Elle garde l’humidité de l’hiver et l’été, nul besoin d’arroser les champs. La céréale y pousse toute seule, avec des rendements allant jusqu’à 90 quintaux l’hectare. Depuis quarante ans, les agriculteurs sont sous la menace d’une urbanisation imminente. En cultivant le maïs en continu, ils épuisent le sol, comme on brûle ses dernières cartouches, mais qui peut leur en faire le reproche ? Gouverner, ce n’est pas inciter un céréalier à miser sur une prime d’expropriation, c’est au contraire l’encourager à entretenir la fertilité, à amender la terre, à la nourrir pour l’avenir, comme un bien commun, au service de tous.

Reconvertir le Triangle de Gonesse en pôle agroécologique Dans son dernier jugement, la cour d’appel du tribunal administratif de Versailles a estimé qu’Europacity n’avait pas à rendre des comptes sur les émissions de CO2 liées au fonctionnement de ses installations, ni celles émises par ses clients. L’étude d’impact – invalidée en première instance – serait « proportionnée à la sensibilité environnementale de la zone concernée »… Si les mots ont un sens, cela signifie que, puisque les environs du triangle de Gonesse sont déjà bien pollués, il ne faudrait pas s’embarrasser de précautions. Et c’est vrai que ces champs opulents sont entourés par les aéroports de Roissy et du Bourget, longés par trois centres commerciaux (qui ont déjà du mal à attirer leurs clients), l’ancienne usine de 3 PSA d’Aulnay ainsi que moult entrepôts, et striés par des autoroutes, quatre-voies, échangeurs. Ici, la capitale entasse les infrastructures qui assurent son fonctionnement quotidien. Alors, en effet, pourquoi se gêner ? Augmentons le trafic des autoroutes existantes, puisqu’elles polluent déjà. Favorisons le transport aérien. Bétonnons, bétonnons. Et tant pis si, dans trente ans, Europacity doit faire faillite, comme tant de « malls » aux États-Unis, laissant un amas de béton abandonné, livré à tous les trafics (et adieu les emplois, bien sûr !).

Reste l’argument du progrès. « Sauf à abandonner tout objectif de développement économique, de modernisation progressive des activités humaines et d’évolution des modes de vie, les pouvoirs publics admettent la mutation des terres agricoles au profit de toutes sortes de projets de développement », écrivait il y a un an l’un des commissaires enquêteurs. En somme : arrêter de couler du ciment signifierait revenir à l’âge de pierre. C’est faux et la preuve en est donnée par le projet Carma, qui propose de reconvertir progressivement le Triangle de Gonesse en pôle agroécologique. Imaginez le tableau dans vingt ans : du maraîchage, de l’agroforesterie, une production de produits frais pour 80 000 habitants des environs, la récupération des déchets verts dans une logique d’économie circulaire, des pôles de formation aux métiers de la transition écologique, des emplois durables et enrichissants pour les habitants des environs : est-ce une vision passéiste, ça ? C’est là où le tissu social a été déchiré, où le sol a été abîmé, où les biens communs ont été saccagés, qu’il faut inventer un monde à hauteur d’homme.

A la place d’EuropaCity, le projet d’une « ceinture alimentaire » pour nourrir le Grand Paris L’État doit apprendre à « aménager autrement » Monsieur le président, vous avez été l’assistant de Paul Ricœur et je persiste à croire que cela laisse ouvert la possibilité d’un dialogue avec vous, malgré les signaux que vous envoyez par ailleurs. Après l’abandon de l’aéroport de Notre-Damedes-Landes, le philosophe Bruno Latour – l’intellectuel français vivant le plus cité à l’étranger, tout de même – avait noté que les zadistes étaient devenus, à leurs corps défendeurs, les « instituteurs de l’État ». A une machine politicoadministrative engoncée dans les vieux réflexes du tout-béton, ils avaient montré qu’il fallait apprendre à penser et à agir autrement en matière d’aménagement. Monsieur le président, à défaut de vous laisser instruire par une poignée de militants, entendez au moins la leçon du philosophe : oui, aujourd’hui, l’État doit apprendre à « aménager autrement ». En cette mi-juillet, il fait de plus en plus chaud. Dans le champ de maïs de Gonesse, cette canalisation en plein champ est la première étape du chantier de la gare. Si celui-ci commence en novembre, comme le Grand Paris le prévoit, ce sera fichu : le Triangle de Gonesse sera livré au béton. Monsieur le président, arrêtez la folie Europacity. Maintenant.

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