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FOLIO DU BLANC-MESNIL
20 février 2015

Après le 49.3 l'état de la démocratie, contribution au débat par la transcription d'un article d'Alternatives Eco.

 

courage

Folio du Blanc-Mesnil est un fidèle lecteur du Mensuel Alternatives Économiques et nous avons à plusieurs reprises organisés des réunions publiques avec son rédacteur en chef Guillaume Duval. Nous vous invitons à vous abonner à cette revue, elle est incontournable pour comprendre la situation économique et sociale et elle est un outil indispensable pour participer à l'élaboration d'une alternative de transformation sociale.

L'article que Folio va retranscrire est un peu long, prenez le temps de lire, car dans ce moment où la démocratie est malmenée avec le 49.3, il donne des éléments de réflexions utiles entre autre sur l'état de la démocratie.

Article de Guillaume Allègre. Économiste à l'OFCE, département des études

«INEGALITES. Depuis le début des années 1980, les très riches captent une part toujours plus grande des revenus. Ce n'est ni bon pour l'économie ni pour la démocratie.

Comment les superriches

transforment la société.

Si les économistes redécouvrent aujourd'hui la question des inégalités, c'est qu'ils s'en étaient largement désintéressés au cours du dernier demi-siècle! Pour expliquer, on peut avancer deux raisons. D'abord, avec la longue période de croissance qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, les conditions matérielles se sont rapidement améliorées pour tous. Même avec 2% de croissance par an, trente six ans suffisent pour doubler le revenu moyen de la population. Dans ces conditions, il n'est pas difficile de faire en sorte que chacun ait des conditions matérielles meilleures que celles de ses parents, si bien que la question des inégalités devient moins prégnante.

Ensuite, l'économie s'est isolée des autres disciplines en sciences humaines. Devenue de plus en plus formelle, elle a eu tendance à abandonner les questions éthiques ou plus précisément, à les cantonner à une branche spécifique de la discipline(*), elle même fortement formalisée. De manière générale, les économistes se sont rangés à l'idée qu'il est vain de vouloir comparer les individus entre eux et que seul critère éthique à retenir est celui de l'amélioration, au sens de Vilfredo Pareto (1848-1923): une réforme améliore la situation si certains y gagnent sans que personne y perde. Ce principe s'avère totalement aveugle à la question des inégalités.

Depuis les années 1980, les inégalités se sont creusées, notamment dans les pays anglo-saxons, et sont aujourd'hui au cœur des débats. Avec 0% de croissance, il n'y a plus de possibilité de réformes ne faisant aucun perdant et les questions distributives (re)deviennent premières. Les mouvements des 99%, d'Occupy Wall Street aux Indignados, en sont une conséquence. De plus, face à la crise, l'économie classique s'est montrée souvent assez peu pertinente dans ces recommandations, si bien que l'économie politique a fait un retour dans le débat public et même académique. Auréolé de son prix d'économie en mémoire d'Alfred Nobel, joseph Stiglitz a été avec le prix de l'inégalité,paru en 2012, l'un des premiers à remettre la question des inégalités au cœur des discussions. Et dernièrement, la traduction en anglais du Capital au XXI° siècle de Thomas Pikétti (2014) a couronné le retour de la question des inégalités- et pas seulement celle de la pauvreté-dans le débat économique international.

Un handicap pour l'économie

Faisons une expérience imaginaire. Vous devez choisir entre deux sociétés. Dans la première, 99% des individus ont un niveau de vie équivalent à 2000 euros mensuels et 1% à 4000€. Dans la seconde 99% ont un niveau de vie de 2001€ et 1% de 200000€. Laquelle de ces deux sociétés choisiriez vous? Pour de nombreuses personnes c'est la première qui serait préférable, a fortiori si elles savent qu'elles ne feront pas partie du 1%. Mais si l'on suit le critère de Pareto et que l'on juge la situation d'un individu que par rapport à ses ressources propres, alors la rationalité imposerait de choisir la seconde société, puisque tous les individus sont plus riches que dans la première. Toutefois, pour arriver à cette conclusion contre intuitive, il faut évacuer les conflits interpersonnels en interdisant la comparaison (d'autres diraient jalousie et l'envie).

Cependant, si la seconde société est, dans son ensemble deux fois plus riche que la première seulement 1% en bénéfice vraiment. Les biens sont rares, non reproductibles et convoités ( les appartements bien placés dans les métropoles, les maisons secondaires en front de mer...), sont donc accaparés par 1%. Quel que soit leur effort d'épargne, les 99% ne pourront jamais rivaliser. Aussi l'alternative entre les deux société se pose-t-elle en termes différents que ceux envisagés plus haut: 2000€ dans un cas ou 2001€ dans l'autre, moins la possibilité d'accéder aux biens rares et convoités, ce qui paraît déjà moins attirant.

Ce n'est pas le seul inconvénient pour les 99%, ni peut-être le plus important. Dans la seconde société, 50% du revenu sont détenus par le 1%. celui-ci ne consomme pas 100 fois plus que les 99% restant: il consomme notamment des biens ostentatoires et des biens et des services très intense en travail, comme les services à la personnes, voire domestiques pour lesquels les gains de productivités et les économies d'échelles sont faibles. Les entreprises fournissant les biens et les services consommés par les 1% ont finalement assez peu intérêt à augmenter la productivité des travailleurs: un mois de travail du 1% suffit à payer 100 travailleurs pendant un mois. Pour eux, le travail coûte peu et il ne sert à rien de l'économiser en augmentant la productivité. Au final, les nombreux emplois domestiques ou équivalents pour les lesquels il n'y a pas de gains de productivité réduisent la croissance potentielle de l'économie au détriment des 99%

Le problème fondamental du déphasage des très riches n'est toutefois peut-être pas économique mais démocratique. Si les riches décrochent, les pauvres risquent de vouloir les exproprier. Comprendre pourquoi ils ne font paradoxalement pas dans nos démocraties intéresse depuis longtemps les économistes et les chercheurs en sciences politiques. Une première réponse-libérale- est que ce paradoxe existe pas, car les pauvres exproprient déjà les riches via des taux d’impôts confiscatoires. Pour échapper à cette expropriation, l'exil serait légitime ainsi que la mise en concurrence des systèmes fiscaux et sociaux. On pourrait reconnaître là un certain projet européen, encourageant la concurrence entre systèmes sociaux et fiscaux.

La démocratie sous contrôle.

Une seconde réponse est que nos sociétés ne sont pas réellement démocratiques. Pour éviter que les pauvres n'exproprient les riches, rien que tel que la ploutocratie, ce système de gouvernement où l'argent est à la base du pouvoir. C'est la situation qui paraît s’être installée aux États Unis, où le 1% des plus riches détient aujourd'hui près de 20% revenus et où l'enjeu du financement des campagnes électorales est primordial. Le déphasage des très riches du reste de la société augmente sensiblement leur intérêt à prendre le contrôle de la démocratie pour éviter d’être exproprier et leur donne simultanément les moyens de le faire. Cette prise de contrôle de la démocratie peut passer celle des médias ou par l'alignement de l'élite politico-technocratique sur celui des 1%, via des positions sociales intermédiaires entre les 1% et les 99% (1), mais aussi, peut-être de façon plus légitime (et trompeuse) par la menace rhétorique de l'exil et le chantage à l'emploi.

Des arguments fallacieux.

Dans notre société théorique où les 1% détient 50% des revenus et en supposant une égale productivité des emplois 50% des salariés travaillent pour les riches. Le 1% peut donc croire qu'il «crée» 50% des emplois. En réalité, si les riches choisissaient de s'exiler, cela n’affecterait ni l'emploi, ni le niveau de vie des 99%. Au niveau de la production leur départ serait compensé par le fait qu'il libèrent 50% de main-d’œuvre , qui serait alors employée pour produire pour tous et par seulement pour 1%. En définitive, l'argument selon lequel«il ne faut pas tuer la poule aux œufs d'or» en laissant partir les riches à l'étranger ne vaut que si ces derniers contribuent plus à la société qu'ils ne perçoivent de revenus. Pour la défense du 1% certains comme Grégory Mankiw(2) soulignent qu'ils paient déjà beaucoup d’impôts et que leur contribution nette à la société est largement positive. Mais est-ce vrai?

L'hypothèse implicite pour justifier les rémunérations du 1% est que leurs revenus reflètent leur contribution à l'amélioration des 99%. cet argument s'appuie sur l'équilibre concurrentiel du marché où les travailleurs sont rémunérés selon leur productivité marginale. A partir d'un certain point, si un dirigeant demandait une rémunération plus élevée, il serait remplacé par un autre.

Mais est-ce la réalité dans laquelle opèrent les chefs d'entreprise, les traders, les superstars du sport et du spectacle? N'y a-t-il pas des phénomènes de rentes, c'est à dire de manipulation de l'environnement social, économique ou politique, dans le but d'obtenir une plus grosse part de la richesse économique produite? L'augmentation de leurs rémunérations correspond-elle nécessairement à la création de nouvelles richesses?

L'univers du 1% se caractérise plutôt par un capitalisme de connivence, par les inégalités d’accès aux informations, par des phénomènes de winner-take-all ( par exemple dans les réseaux sociaux: le réseau le plus populaires capte pratiquement tout le trafic), autant de facteurs qui peuvent entre autres expliquer que ses membres arrivent à percevoir des rémunérations astronomiques. Ceci ne veut pas dire que la contribution du 1% à la richesse est nulle, mais que le marché est incapable de la mesurer. On ne peut en tout cas présumer que cette contribution, après rémunération et transfert, soit positive. Au final, le départ des riches dans dès exil dorés ne devrait nécessairement être regretté.»

 

  • conomie normative : s'interroge ainsi sur les valeurs que les individus associent à une décision économique. Elle fournit des prescriptions ou des recommandations fondées sur des jugements de valeur personnels.

  • 1-Par exemple aux Etats Unis, les professeurs d'économie qui participent à la définitions des politiques publiques sont bien rémunérés que ceux des autres autres sciences sociales, plus critiques du pouvoir.

  • 2- « defending the One Percent » journal of Economic Persperctives vol 27 n°3

 

 

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