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FOLIO DU BLANC-MESNIL
11 mai 2010

Les pieds dans le plant

Stéphane Gatignon. Contre le trafic de drogue, le maire écolo-coco de Sevran est l’un des rares à prôner la légalisation du cannabis.

Par Laure Equy Photo Bruno Charoy

Le maire (EE) de Sevran, Stéphane Gatignon à Paris, le 12 janvier

Le maire (EE) de Sevran, Stéphane Gatignon à Paris, le 12 janvier (Charles Platiau / Reuters)

Il ne se veut pas étendard du pétard légalisé. D’ailleurs, ça le fait «un peu flipper» qu’on soit là aujourd’hui, calepin en main, dans sa mairie, à parler champs d’herbe en Ile-de-France en remontant le fil de sa vie. «Un petit maire, un blaireau comme moi, on s’en fout», provoque-t-il, décochant un coup d’œil clair sous ses sourcils en bataille. Mais puisque la crème de la politique ne bouge pas d’une oreille sur la question, il faut bien qu’il s’y colle.

Ces derniers temps, Stéphane Gatignon, maire écolo-coco de Sevran, polo, jean et baskets, a fait le tour des radios et des télés. Un peu malgré lui : une poussée de fièvre dans ce coin de Seine-Saint-Denis avec des opérations antidrogue - dont celle, très médiatique, dans une cité de Tremblay-en-France - et des caillassages de bus. Le tout sur fond de coups de menton présidentiels. Et un peu par sa faute : il est l’élu local, quadra, bon client - on lui trouve un air froncé de navigateur - qui oppose à cette bouffée toute sécuritaire une solution très pragmatique. Pour couper l’herbe sous le pied des trafiquants, soutient Gatignon, «ouvrons le débat» de la légalisation.

Aux courroucés «ça ne se fait pas», il rétorque «pourquoi pas ? Parlons-en». Comme il le fait tout le temps, accro à l’argumentation politique. Cette «grande hypocrisie» l’exaspère. 12 millions de Français ont déjà fumé du cannabis, 4 millions sont consommateurs réguliers. «Bien sûr, on est sur un problème de santé publique. On doit faire de la prévention, dire qu’un joint n’est pas anodin, pose-t-il, à l’abri de tout outing :moi, je suis allergique. La fumée, ça me fait tousser !»

Surtout, il appelle à «sortir du déni» sous peine de plonger dans «une situation à la mexicaine». Là, il brosse des scénarios épouvantables où, aux élections locales, «les trafiquants joueront un rôle premier, financeront les campagnes et choisiront les élus». C’est qu’à Sevran, «plaque tournante du nord-est de l’Ile-de-France», il a vu se structurer cette économie souterraine, les trafiquants qui tiennent des quartiers entiers, les mômes recrutés comme guetteurs, les «nourrices» planquant la came pour quelques centaines d’euros.

En même temps, «la ville bouge partout». La mairie rénove les écoles, fait ouvrir un centre de santé et pousser des jardins partagés. Comme pour s’excuser de trouver qu’il réalise aussi «des trucs supers», Gatignon se compare à l’homme courant sur la plage, un tsunami derrière lui. «On se dit que tant qu’on court, on est vivant… jusqu’à ce que la vague emporte tout.»

Depuis neuf ans qu’il prend ses jambes à son cou, Stéphane Gatignon a eu le temps de décrypter la situation. «Il met son vécu d’élu de terrain au service d’une réflexion. Il garde sa capacité de révolte mais ne sacrifie pas l’analyse», dit de lui Stéphane Peu, maire adjoint à Saint-Denis. «Poreux aux choses», comme il se décrit, Gatignon jongle ainsi entre local et global. Et déchiffre «cette histoire au présent» qui s’écrit en banlieue. S’il peste tant contre la gauche et sa pensée «sous le niveau de la mer»,c’est qu’il juge qu’un «monde d’avant, industriel, productiviste, a implosé et qu’un nouveau reste à inventer». Il vous le dit d’une traite, tâtonne : «Si je saute du coq à l’âne c’est parce qu’en fait, tout est lié.»

Est-ce pour accompagner cette trajectoire qu’il a quitté le PCF à l’automne pour rejoindre Europe Ecologie ? «Il ose dire ses doutes. De façon un peu déstructurée parfois : la marque de la passion, raconte Pascal Durand, délégué national d’Europe Ecologie. Normalement, ça reste interne, feutré. Lui n’est pas dans ce moule-là.» Souvent, quand il juge l’insoumission nécessaire, Gatignon sort des clous, avec un culot réfléchi. Une désobéissance en conscience comme fil rouge.

Le PCF a toujours fait partie des murs de la famille. Stéphane a grandi esplanade Maurice-Thorez, dans une cité d’Argenteuil où son père, ajusteur, était maire adjoint. Un grand-père résistant qui avait «bolchévisé le Cher», des parents communistes. Avec ses deux sœurs, il a vécu une «enfance formidable : on recevait des communistes, des tiers-mondistes, des chrétiens qui se battaient dans le monde entier, finissaient ministre, dans une prison ou au bout d’un fusil». Militant en culottes courtes «tendance Pif le chien», il rejoint la Jeunesse communiste (JC) à 15 ans. Il est profondément marqué par Gorbatchev et son vent nouveau. Au congrès de la JC de mars 1990, avec d’autres, il signe un texte pour la perestroïka, proteste contre la venue d’une délégation chinoise. Virés ! Gatignon fait des études d’histoire, donne des cours d’alphabétisation en foyer de travailleurs migrants. Il refuse de faire son service militaire, devient objecteur de conscience. «J’ai fait tout ce qui ne se faisait pas !»

Alors qu’il prend la poussière au milieu des archives pour sa thèse sur le mouvement ouvrier et le communisme à Argenteuil, il devient l’assistant parlementaire de François Asensi, député PCF de Tremblay. Il passe par Sevran pour aider la section du parti à reprendre la ville passée à droite. «Plus petit dénominateur commun» des communistes du cru, il est propulsé candidat aux municipales de 2001. «Aucune chance de gagner»… Il gagne et, à 31 ans, apprend en urgence à gérer une ville aux finances désespérément dans le rouge.

Parallèlement, avec sa bande des refondateurs, il continue de batailler pour la transformation du parti. «Vingt ans dissident», à buter contre un mur, dit-il. «Mais attendez, je suis toujours communiste !» A l’écouter, ce serait le PC figé, arc-bouté, qui l’a quitté. Plusieurs de ses ex-camarades lui ont reproché de s’être jeté dans les bras du «libéral libertaire» et protraité de Lisbonne, Daniel Cohn-Bendit. «Je passe parfois pour un être froid, un tueur en politique», admet-il.

Mais de temps en temps, Gatignon est fatigué par sa «vie de taré» d’élu de banlieue. Il a songé, une seule fois, à tout arrêter. Eté 2009 : un incendie criminel dans une HLM. «Quand je pense que 90% des gens étaient là, un 10 août…» Cinq personnes meurent dont deux enfants et un bébé. A l’enterrement, pas un chat parisien, ni ministre, ni leader de parti, ni préfet. C’est pour ses enfants à lui qu’il n’a pas renoncé : «Maintenant, j’angoisse sur le monde dans lequel ils vont vivre…» L’estomac de Gatignon est «un vrai cataclysme».

Il vit à Sevran avec sa compagne, agent territorial, leur fille de 6 ans et leur fils de 4 ans. «La vie normale, quoi, moderne…» résume-t-il pour qu’on lui fiche la paix. Quand il «coupe», il regarde rugby et foot à la télé et lit des bouquins par pile de quatre ou cinq. Récemment engouffrés, la Loi du ghetto du journaliste Luc Bronner, le Maud Tabachnik, un essai, plus ancien, de Gaby Cohn-Bendit et une «brochure des curés sur les drogues» ! Bientôt, il écrira aussi. Un livre sur l’insécurité et le trafic de stups… à quatre mains avec un flic. Ça ne se fait pas ? Pourquoi pas, parlons-en.

Photo Bruno Charoy

En 5 dates

25 août 1969 naissance à Argenteuil (Val-d’Oise).

1984 s’inscrit à la Jeunesse communiste.

Mars 2001 Elu maire de Sevran (Seine-Saint-Denis).

Automne 2009 Quitte le PCF pour rejoindre Europe Ecologie (EE).

Début 2010 Investi tête de liste EE en Seine-Saint-Denis aux régionales.

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