COUR NORD, ROMAN D'ANTOINE CHOPLIN, EDITION DU ROUERGUE/COLLECTION LA BRUNE
Leur lutte finale. Leur usine va fermer. Le père se bat, le fils rêve d’ailleurs. Entre rage et maigre espoir, un roman sans pathos sur un monde bientôt disparu.
Un père et son fils. Quelque part dans le nord. Il pleut. Il fait froid. Une tempête gronde. Qui ne vient pas des cieux gris de menaces. Mais se lit sur le visage des deux hommes, leur front tendu, leurs gestes gourds, leurs mots presque sans voix. Le matin, au lever, ils se saluent du regard. Ainsi commence leur journée, par un rite, une tendresse tout en silence. Leur usine va fermer. Depuis deux semaines, ils sont en grève. « Cour Nord », dixième livre d’Antoine Choplin, d’une écriture tendue, comme essorée de tout pathos, nous fait emboîter les pas lourds de Léo et de son père, nous entraîne dans un monde qui se dilue, où règne l’incertain, où se noient des valeurs d’un autre temps- avoir un travail, un toit, connaître la solidarité, ne pas se soumettre à l’arbitraire, rester digne.
Léo, fils et narrateur, suit son père sans conviction. Il a des désirs d’ailleurs, d’une vie autre. Le jour, il est prisonnier à l’usine. La nuit, il invente la liberté avec des copains, joue du jazz, s’enivre de Thelonious Monk. Le grand écart. Quand le père, vieux briscard de la classe ouvrière, se refuse à abdiquer et entame seul, une grève de la faim. Léo se détourne, s’en va regarder le ciel, rêver un peu.
Déjà, dans « Radeau », d’une prose aérienne, Antoine Choplin peignait la force tranquille de personnages de l’ombre, résistants lors de la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, avec « Cour Nord », il récidive à sa manière, à mots crus et veloutés à la fois, rien que des mots de tous les jours. Il éclaire père et fils d’une lumière d’orage, variant les tempos, doux ou rageurs. Il raconte leur lassitude, leur désarroi, leurs contradictions, leurs pauvres utopies, raconte cette grisaille de plomb qui les faits se courber, cette espèce de noblesse de classe qui les fait se redresser, et tenir debout malgré tout. Malgré l’adversité, les défaites. Malgré ce monde usé, éreinté, qui s’en va, qui se meurt peu à peu sans savoir comment renaître.
Martine Laval. Télérama n° 3131