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FOLIO DU BLANC-MESNIL
2 décembre 2009

Claude Dilain, maire PS de Clichy-sous-Bois : "La logique du ghetto arrange tout le monde"

Depuis les émeutes de l'automne 2005, Claude Dilain, maire PS de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), est une des figures de la politique de la ville en France. Egalement président de l'association Ville et banlieue, qui réunit des élus de droite et de gauche, il tente de porter la voix des quartiers populaires, mais observe avec inquiétude le désintérêt de la société française.

Comment vont les quartiers sensibles ?

Claude Dilain : Comme tous les maires de banlieue, je suis inquiet. Nous faisons face à un phénomène nouveau: la colère ne touche plus uniquement les jeunes, ceux qui étaient en première ligne pendant les émeutes de 2005, mais elle s'étend désormais aux adultes, en particulier aux trentenaires qui ont fait des études, se sont mariés, ont des enfants, mais sont retombés au chômage avec la crise. En 2005, il y avait un débat un peu théorique pour savoir si on se trouvait face à une émeute ou une révolte sociale. Aujourd'hui, dans certains cas, je sens qu'on est passés au stade de la révolte sociale et c'est dangereux.

Il y a eu beaucoup d'annonces politiques sur les banlieues depuis 2005. Quels sont les effets ?

Ce qui frappe, avec le recul, c'est l'absence de volonté politique au-delà des discours généreux. Je regarde les statistiques de Clichy-sous-Bois, elles sont très mauvaises : le revenu annuel moyen par famille est de 9.000 euros par an, la proportion de non-diplômés demeure à 45 %, le taux de chômage reste deux fois plus élevé qu'au niveau national, la ville n'est toujours pas desservie correctement par les transports. Nous sommes toujours dans un ghetto. Le seul point positif concerne la rénovation urbaine lancée par Jean-Louis Borloo avant les émeutes de 2005. Sur ce point, les habitants ont enfin le sentiment qu'on s'occupe d'eux, et ils voient leurs logements et leur cadre de vie s'améliorer.

Comment jugez-vous l'action de Fadela Amara ?

Elle fait ce qu'elle peut, mais les effets de son plan Espoir banlieue sont invisibles sur le terrain. Je crois qu'elle commet une erreur fondamentale en pensant que Nicolas Sarkozy veut agir. Quand il vient en banlieue, c'est uniquement pour parler de vidéosurveillance ou d'immigration. Et les transports ? Le logement ? L'emploi ? La question de fond est: veut-on simplement que les banlieues soient calmes ou veut-on résorber les ghettos? Je crois que le président a donné sa réponse: seule la sécurité l'intéresse. Dans ce contexte, un secrétariat d'Etat à la ville ne sert à rien, quoi que fasse son titulaire. La politique de la ville devrait soit relever directement du premier ministre, soit être portée par un délégué à la ville, très puissant, comme ont pu l'être dans le passé des délégués à l'aménagement du territoire, capables d'imposer l'intérêt des banlieues face aux ministères. Que pèse Fadela Amara face à un ministre de l'intérieur ou au premier ministre ? Rien.

Quels sont les blocages ?

En réalité, la logique du ghetto arrange tout le monde. La société fabrique des situations extrêmes, mais ce qui compte, aux yeux des classes moyennes et supérieures, c'est que cela reste invisible et qu'on n'en parle pas trop. Les pauvres, surtout s'ils sont noirs et arabes, on les met à Clichy-sous-Bois en pensant, sans trop le dire ou se l'avouer à soi-même, qu'on préfère les avoir là-bas, à distance, plutôt que dans la classe de sa fille ou de son fils. Lorsqu'il s'occupait de la ville, Jean-Louis Borloo disait que les banlieues sensibles sont le cancer de la République: c'est toujours le cas.

Constatez-vous un repli communautaire ?

Oui, de toute évidence. La référence au pays d'origine – même pour des habitants qui sont en France depuis deux ou trois générations – n'a jamais été aussi forte. Je ne sais pas si nos jeunes ont vraiment envie d'aller vivre en Algérie mais regardez leur enthousiasme après le match Algérie-Egypte. Même chose pour les signes ostentatoires d'appartenance religieuse ou les demandes communautaristes. Le message est simple: puisque vous ne m'aimez pas, puisque vous ne m'acceptez pas, je choisis d'exister en tant qu'"Algérien" ou musulman. Si on laisse faire, on prend le risque de voir la fracture s'approfondir toujours plus. Le problème, c'est que la France n'a plus de politique vis-à-vis de l'immigration. Le gouvernement met en scène les charters de clandestins renvoyés dans leur pays. Mais, dans la réalité, on continue de les entasser à Clichy et dans quelques dizaines de villes de banlieue en espérant les cacher aux yeux de la société. Tout ça dans des conditions indécentes et avec des moyens dérisoires pour leur apprendre le français. Qui peut ensuite s'étonner qu'il y ait un repli identitaire de ces populations ? Si on ne résorbe pas le ghetto pour des raisons éthiques, au moins qu'on le fasse par souci de compétitivité économique: la métropole parisienne ne décollera jamais si elle garde de telles poches de pauvreté et un tel potentiel de colère.

Vous êtes membre du PS. Votre parti a-t-il une réflexion sur les banlieues ?

Elle est malheureusement très insuffisante. Le PS est à l'image de la société et nous y rencontrons les mêmes difficultés pour faire entendre la voix de la banlieue.

Cette situation vous décourage-t-elle ?

Non, je continue. Le jour où je serai découragé, j'arrêterai d'être maire. Mais je suis fatigué, parfois, et en colère, souvent. En 2005, à travers le Conseil national des villes, nous avions alerté les pouvoirs publics sur la gravité de la situation. Sans résultat – ou plutôt avec le résultat que l'on connaît: trois semaines d'émeutes. Aujourd'hui, nous sommes revenus à la situation d'avant 2005. Mais, si ça doit à nouveau exploser en banlieue, nous sommes nombreux, parmi les élus de banlieue, à dire que nous ne recommencerons pas comme en 2005, nous n'irons pas passer nos nuits à rattraper les erreurs commises. Ce sera aux pouvoirs publics, aux ministres, aux préfets, à tous ceux qui sont responsables, de tenter de sauver ce qui pourra l'être. Nous, les maires, en avons ras-le-bol de parler dans l'indifférence. J'alerte ainsi, depuis des mois, les pouvoirs publics sur la situation du Bas-Clichy, des copropriétés dégradées, en grande difficulté, où arrivent les familles les plus pauvres, les plus fragiles, presque uniquement des immigrés récents. Elles constituent une véritable bombe à retardement. Si on ne fait rien, on va vers la catastrophe. Je sonne à toutes les portes et on me répond qu'il n'existe pas d'outils adaptés. Il va falloir que ça explose pour qu'on s'y intéresse ?

Propos recueillis par Luc Bronner

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