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FOLIO DU BLANC-MESNIL
3 avril 2009

A quand la fin des hyper-privilèges ?

Les faits sont bien établis par une étude de Camille Landais, économiste à l’Ecole d’économie de Paris. Ils sont hélas trop méconnus. Ces dernières années, le revenu de l’immense majorité des Français a quasiment stagné : entre 1998 et 2005, 90% des foyers, soit 31,5 millions de familles, ont vu leur revenu croître de 0,6% par an seulement. Chaque mois, ces millions de femmes, d’hommes et d’enfants vivent avec 1 500 € en moyenne. Parfois un peu plus. Souvent beaucoup moins.
                        
De l’autre côté du miroir, les très hauts revenus ont explosé. Les 3 500 contribuables les plus riches du pays (sur 35 millions de contribuables aujourd’hui en France), ont connu des hausses de revenu de 43%. Chaque mois, ces familles gagnent en moyenne 125 000 €. Parfois un peu moins. Souvent beaucoup plus.
                        
Cette augmentation des inégalités vient d’abord des inégalités de patrimoine. Mais les inégalités salariales ne sont pas en reste. Les 2 500 personnes les mieux payées de France, notamment les chefs d’entreprises de très grands groupes, ont vu leurs salaires augmenter de moitié entre 1998 et 2005. En comparaison, les 20 millions de travailleurs qui représentent 90% de la population salariée, n’ont eu droit qu’à 4% en huit ans.
                        
La France connaît ainsi une évolution qui la rapproche progressivement des pays anglo-saxons. Sommes-nous sûr de le vouloir, au moment où le libéralisme apporte l’ultime preuve de sa toxicité ? En 2007, le Directeur général de l’Oréal a gagné plus de 250 fois le SMIC. Quelle compétence peut, en dernier ressort, justifier ce niveau de rémunération ? Les dirigeants de grandes entreprises engagent-ils leur propre capital ? Non. S’agit-il de la juste rémunération du risque pris par l’entrepreneur ? Non plus.
                        
Car il y a d’un côté les dirigeants de PME. Ceux-ci engagent leur propre capital, ils sont souvent caution personnelle et peuvent tout perdre du jour au lendemain. Et il y a de l’autre les dirigeants d’entreprises cotées au CAC 40. Ceux-là prennent des risques avec un argent qui ne leur appartient pas. Ils sont intéressés aux profits. Mais les pertes ne les atteignent pas.
                        
Demander la limitation de certaines rémunérations, voire leur suppression lorsqu’il s’agit des stock-options, ce n’est donc pas crier au loup, clouer au pilori et vouer aux gémonies. Ce n’est pas non plus céder à la tentation de l’amalgame stérile, celui du "tous pareils". C’est avoir le sens de l’intérêt général. C’est avoir la lucidité d'admettre que le capitalisme créé aujourd’hui les conditions de sa propre perte. Apprenons au moins des échecs qui ont plongé le monde dans la dépression.
                        
De quoi s’agit-il au fond ?
                        
D’abord de justice. On ne bâtit pas une société harmonieuse sur des gouffres. Il n’est pas de cohésion, il n’est pas de conscience commune ou d’unité quand l’inégalité des conditions de vie, les privilèges, les prébendes créent des castes.
                        
D’efficacité ensuite. On ne peut laisser perdurer des modes de rémunération qui conduisent les dirigeants à prendre des risques incalculés, au mépris de l’entreprise elle-même et de ceux qui se dévouent sincèrement pour elle. Les bonus bancaires et les stock-options privilégient l’augmentation artificielle du cours des actions : modération salariale pour les plus nombreux voire licenciements boursiers pour gonfler une rentabilité de façade ; versement de dividendes pour l’actionnaire. Combien d’entreprises ont ainsi préparé le terrain de leur échec ?
                        
Alors on nous propose aujourd’hui un décret pour limiter les rémunérations des dirigeants. L’idée serait bonne si on avait réellement eu la volonté d’attaquer le mal à la racine. Il n’en est rien et je le regrette : on offre quelques « retaillons » de réforme pour faire oublier les connivences, en espérant ainsi calmer la colère populaire. Trois raisons me conduisent à déchirer le voile d’illusion que certains tentent de tendre sous nos yeux :
                        
Le champ d’application du décret d’abord, qui se limite aux sociétés dans lesquelles l’Etat apporte des aides directes. Or les effets pervers et les injustices liées aux versements de bonus, de stock-options, de parachutes dorés et de retraites chapeaux concernent évidemment un nombre bien plus élevé d’entreprises, d’ailleurs toutes aidées par l’Etat sous forme d’allègement de cotisations sociales.
                        
Son objet ensuite. Le décret n’interdit que l’attribution d’actions gratuites et de stock-options. Il se contente « d’encadrer » les bonus par des recommandations sur les montants et les critères de performances. Rien de sérieux sur les parachutes dorés ou les retraites chapeaux.
                        
Sa durée enfin. Le décret, qui n’a par nature aucun effet rétroactif, étend sa portée jusqu’à fin 2010, comme si ce qui était inacceptable aujourd’hui ne l’était plus demain.
                        
Ne l’oublions pas : la crise que nous traversons est celle d’un libéralisme fondé sur l’absence de règles et de contre-pouvoirs, sur les privilèges qu’une minorité s’est accordée à elle-même, sur la recherche d’un profit à tout prix qui a encouragé les spéculations les plus folles. Au moment où il est question de «refondation du capitalisme», une autre direction est plus que jamais nécessaire. Celle-ci pourrait être articulée autour de trois piliers :
                        
Proposer une loi supprimant purement et simplement les rémunérations en actions gratuites et stock-options. Pour les start-ups, le système de Bons de Souscription d’Actions serait maintenu et développé de manière à favoriser la création et l’innovation.
                        
Instaurer de véritables contrepouvoirs salariaux au sein des entreprises. On nous a présenté la transparence comme une nouvelle panacée. Mais que vaut la transparence lorsqu’elle devient source d’un alignement par le haut, lorsqu’un dirigeant, voyant les droits que s’octroie son voisin, décide de suivre et dit «banco» ? Ce qu’il faut, c’est donner enfin aux salariés la possibilité d’être représentés, par exemple à hauteur de 30 % dans les conseils d’administration des entreprises.
                        
Abroger le bouclier fiscal, qui encourage tous les excès, et poser l’acte d’une véritable révolution fiscale. Les 800 personnes qui, en 2008, ont bénéficié d’un chèque de 368 000 euros sont celles qui jouissent déjà des rémunérations les plus élevées. Cette « double prime » est d’autant plus révoltante que la progressivité de l’impôt est déjà rognée par les 500 niches fiscales qui existent dans notre pays.
                        
Face au sentiment de révolte qui monte aujourd’hui de partout, nous proposons une révolution pacifique, fondée sur la justice et le respect de ceux qui, victimes de la crise, s’exaspèrent de voir une minorité cumuler les privilèges. Plus que jamais nous attendons de ceux qui nous gouvernent de l’ordre juste, de l’exemplarité et un sens aigu des responsabilités.
                        
Amitiés,
Ségolène Royal

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