Interview de François Hollande au Parisien
«Le pouvoir ne prend pas la mesure de la crise»
Le gouvernement a-t-il des raisons de craindre un «mai 2009»?
François Hollande, député de Corrèze, ancien patron du PS : Hélas, il
donne le sentiment de ne rien craindre du tout. Ni la colère et
l'exaspération exprimées dans les manifestations. Ni les prévisions de
l’INSEE qui annoncent l'aggravation de la récession et du chômage pour l’année 2009. Là où les Français attendent de la rapidité, de la
réactivité, du pragmatisme, ils font face à de la rigidité, de
l'inertie et du dogmatisme. Tomber dans le chantage à la rue serait la
pire des attitudes pour l'opposition. Mais Nicolas Sarkozy doit ouvrir
les yeux et ne pas faire comme l’autruche qui, pour ne pas être
effrayée, met la tête dans le sable.
Faut-il une troisième journée d'action, après celles du 29
janvier et du 19 mars?
C’est aux organisations syndicales d’en décider. De toute façon le 1er
mai sera un grand rendez-vous social. Un rapport de force s'est
installé dans le pays. Le chef de l’Etat serait bien inspiré de
dialoguer et d'agir en remettant en cause son bouclier fiscal, en
suspendant la défiscalisation des heures supplémentaires, en octroyant
une prime de 500 euros aux 10 millions de Français les plus fragiles,
en soutenant les entreprises qui préservent l’emploi et en pénalisant
financièrement celles qui licencient alors qu’elles font des bénéfices.
Le pouvoir rétorque que son plan de relance va justement
produire
des effets à partir d'avril ...
Quel aveu ! Depuis la fin de l'été 2008, le gouvernement sait que
l'économie va entrer en récession. La première manifestation s'est
déroulée le 29 janvier. Le sommet social à l’Élysée quelques jours plus
tard et voilà que le Premier ministre nous dit que les annonces qui y
ont été faites ne seront mises en application qu’à la fin du mois
d’avril. Non seulement le pouvoir agit mal, mais toujours avec retard.
«Il faut voter une loi plafonnant les hautes rémunérations»
Peut-on, alors que les caisses sont vides, laisser filer la
dette?
Les marges de manœuvres sont en effet déjà consommées. Le déficit de
l’Etat dépasse les 100ME en 2009, il faut donc supprimer des avantages
fiscaux qui n'ont pas lieu d'être pour les réorienter vers
l'investissement des entreprises et la consommation des ménages. A quoi
ça sert de baisser la TVA à 5,5% quand les caisses sont vides ? A quoi
ça rime de supprimer la taxe professionnelle quand Nicolas Sarkozy
prétend qu’il n'a plus d’argent pour soutenir le pouvoir d'achat. Sa
politique n'est pas seulement injuste, elle est incompréhensible.
Mais le chef de l'Etat veut aussi interdire les rémunérations
excessives pour les chefs d'entreprises...
Depuis plusieurs mois, il brandit son martinet de manière inoffensive.
Le temps des recommandations et des menaces est terminé. Il faut faire
voter une loi qui plafonne les hautes rémunérations et qui interdise
pour un temps le versement de bonus et de stock-options. C'est ce
qu'ont fait les États-Unis. Le plus vite sera le mieux.
«Sarkozy casse-toi» fut le slogan vedette dans les cortèges du
19
mars. Le conflit va-t-il se focaliser sur la personnalité du chef de
l'État?
C'est un risque qu'il a lui même pris en voulant être responsable de
tout et en se substituant à chacun de ses ministres. Mais les français
ne sont pas dans un règlement de compte personnel. Ils veulent que la
politique de l’Etat change. La crise fait tout bouger et lui reste immobile. Quand le chômage et la précarité explosent, comment
comprendre que Nicolas Sarkozy s’accroche à son bouclier pour ne pas
faire contribuer à l’effort les plus riches ?
Les élections européennes de juin prochain ne risquent-t-elle
pas
d'être difficiles pour les partis de gouvernement comme l'UMP et le PS?
Pour l'UMP qui gouverne actuellement, j'en suis sûr. En ce qui concerne
le PS, qui a vocation à représenter l'alternance, cela dépend de lui.
Pour la gauche cette crise est un défi : elle ne peut pas être
seulement dans la contestation ou promettre l'impossible, elle est
aussi interpellée comme force de crédibilité.
Propos recueillis par Eric Hacquemand et Philippe Martinat