Nicolas Sarkozy commet un contresens en réintégrant l'OTAN
"Si l'élection du président Obama a d'abord réconcilié l'Amérique avec elle-même, elle a aussi posé les fondements d'une réconciliation de l'Amérique avec le reste de la planète. En dénonçant avec courage l'aveuglement de la puissance brute, en acceptant d'écouter le monde tel qu'il est, complexe, riche, mais aussi fragmenté et imprévisible, en plaçant sa confiance dans le dialogue avec tous plutôt que dans le coup de poing solitaire, il a sonné le glas d'une vision impériale dont le seul résultat aura été l'impasse irakienne.
Avec son retour dans le commandement
intégré de l'OTAN, la France envoie un signal de repli sur la sphère
occidentale qui va à rebours de la stratégie d'ouverture impulsée par Barack
Obama. Cette décision, prise quand George W. Bush était encore en fonctions, n'est pas
le gage d'une nouvelle relation avec les Etats-Unis, ces derniers ayant de plus en plus besoin d'une
Europe politiquement forte et indépendante. Au fond, ce repli traduit un triple contresens :
sur l'évolution du monde aujourd'hui ; sur le rôle de la France et de l'Europe dans les
relations internationales ; sur les garanties de notre sécurité collective.
Le mur de Berlin est tombé depuis
presque vingt ans. En vingt ans, de nouvelles puissances ont émergé, à l'image
de la Chine, de l'Inde ou encore du Brésil. Les menaces ont changé, les conflits
aussi. Les risques d'affrontement entre blocs ont laissé place à une
prolifération de guerres civiles et à la déterritorialisation d'un terrorisme
transfrontière. Des Etats se sont effondrés, de nouvelles zones grises sont apparues
dans les interstices de l'ancien empire soviétique, les trafics de toutes sortes se sont
globalisés.
Face à ces bouleversements,
l'OTAN a traversé une crise d'identité profonde. Partiellement périmée
par l'effondrement du Pacte de Varsovie, la doctrine de sanctuarisation de l'espace Atlantique a
été élargie au profit d'une logique d'intervention extérieure, au
Kosovo, puis en Afghanistan. Certaines ambiguïtés majeures n'ont pas pour autant
été levées. L'OTAN demeure une organisation marquée par la guerre
froide, avec pour corollaire le leadership politique et militaire que les Etats-Unis y exercent.
Ainsi s'explique sa force d'attraction sur les anciens satellites de la Russie, désireux de
s'affranchir de l'"étranger proche" de Moscou en se plaçant sous le
"parapluie" américain.
Fermée aux grandes puissances non
occidentales, mais ouverte à des théâtres d'opérations
extérieures, l'Alliance vit dans un entre-deux délicat. Elle apparaît
désormais comme le bras armé de l'Occident dans le monde, sans avoir la
légitimité dont bénéficierait une alliance à vocation
universelle. Avant de décider d'une réintégration au sein du commandement
militaire intégré, il aurait donc été souhaitable qu'un débat
politique s'engage sur les nouvelles missions confiées à l'OTAN. Faut-il, alors que
d'autres pays s'affirment sur la scène internationale, donner le sentiment de nous crisper
sur la "famille occidentale" ?
Ne risquons-nous pas de nous enfermer
dans une logique défensive d'avant-hier, alors même que le monde est en train de
basculer ? Ne donnons-nous pas le signal de l'enfermement, alors que nous devons être dans un
mouvement d'ouverture ?
Dès les années 1960, le
général de Gaulle avait compris l'intérêt de jouer un rôle de
"pont" entre l'Est et l'Ouest, entre le tiers-monde d'alors et ceux que l'on n'appelait
pas encore les pays du Nord. Bien que la donne ait changé, cette posture est plus pertinente
que jamais. Le monde a besoin de pays qui jouent le rôle de médiateurs, voire de
recours, politique et moral. Cela vaut pour la France. Mais cela vaut aussi pour l'Europe dans son
ensemble. L'indépendance de la politique étrangère n'est pas destinée
à flatter l'esprit cocardier. Elle est le fondement d'une stratégie d'influence
globale destinée à nouer le dialogue, en évitant d'être marqué au
fer rouge par l'assignation à un camp. <>
Bien sûr, le retour dans les structures de l'OTAN ne signifie pas une adhésion de droit à toutes les opérations de l'Organisation, mais il est évident que notre participation aux commandements de l'OTAN fera peser sur nos choix d'engagement une pression morale considérable. L'étouffante pression de l'unanimité ne constituera jamais un gage sûr de notre liberté, car il faut beaucoup de force d'âme pour s'opposer lorsqu'on est seul. Non, le cadre de l'OTAN n'est pas aussi flexible et protecteur de notre indépendance diplomatique que Nicolas Sarkozy cherche à le faire croire. Or, les drames vécus en Irak ont prouvé que la France voyait juste. Cette voix pourra-t-elle encore s'élever demain ? Rien n'est moins sûr. En tout état de cause, ce tournant ne peut pas être pris sans un débat et un vote au Parlement.
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Enfin, la réintégration de la France dans l'OTAN aurait pu se comprendre comme un choix tactique s'inscrivant dans le cadre d'un projet ambitieux pour une Europe de la défense indépendante. Des bases solides pour l'Europe de la défense étaient d'ailleurs selon Nicolas Sarkozy la condition nécessaire à notre retour dans l'OTAN. En lieu et place, on trouve un maigre bilan.
>Les importants moyens humains et financiers qui vont être mis au service de l'OTAN auraient eu plus de sens s'ils avaient été précédés par de nouveaux moyens mis au service de l'Europe. On ne peut demander à l'Europe de la défense de progresser tout en consacrant plus de moyens à l'OTAN. Il y a ici une contradiction forte qui ressemble à un choix trop facile de l'OTAN contre l'Europe.
Plus que jamais, il faut doter la France et l'Europe d'une vision stratégique. Les idéaux de paix et de démocratie que les pères fondateurs voulaient pour l'Europe, et qui sont les nôtres aujourd'hui, ne sont pas des horizons qu'il faut invoquer au détour d'un discours : ils sont les fondements réels de notre puissance et de notre rayonnement dans ce monde. L'Europe de la défense n'est pas seulement un dispositif militaire, c'est avant tout un pilier au service d'une identité propre, fondée sur le droit, l'esprit de justice et l'indépendance. Soyons-en sûrs : c'est de cette Europe dont les Etats-Unis et le monde ont besoin aujourd'hui.
Ségolène Royal