Un autre monde possible est à portée de mai
Chères amies,
chers amis,
J'étais invitée au Forum social mondial de Belém la semaine où, en France, des centaines de milliers de manifestants ont clamé, eux aussi, leur colère et leur désir d'une alternative au système qui a plongé la planète dans une crise globale de civilisation.
Dès 2001, à Porto Alegre, les altermondialistes ont affirmé les premiers
qu'un autre monde était possible. A l'époque, beaucoup les raillaient au nom d'une
mondialisation financière forcément heureuse... Ils avaient un temps d'avance et des
refus essentiels: contre la soumission aux forces aveugles du marché et du profit à
court terme, contre la destruction de l'environnement et l'exploitation des travailleurs.
Ce qui se passe aujourd'hui confirme les
mises en garde des altermondialistes. La tenue du forum aux portes de l'Amazonie, lieu
emblématique des dangers qui menacent les équilibres écologiques de la
planète, pose avec force cette question urgente: quel autre modèle de
développement pour que la crise ne soit pas une catastrophe subie mais l'occasion de faire
naître un ordre juste et de nouvelles règles morales ? Le président
brésilien Lula l'a proclamé dans le meeting immense qu'il a tenu avec les
présidents du Venezuela, de la Bolivie, de l'Equateur et du Paraguay: "Il semblait que
les pays riches savaient ce qu'ils faisaient et que nous, nous étions incompétents.
Aujourd'hui, c'est leur crise, pas la nôtre. Le dieu marché s'est écroulé
faute de responsabilité et de contrôle."
Une chose m'a frappée à
Belém: il n'y a pas de barrière infranchissable entre ces trois composantes que sont
la gauche de gouvernement, les mouvements sociaux qui luttent sur le terrain, et ce qu'on appelle en
France l'extrême gauche. Bien sûr, la critique est parfois vive, mais dans l'ensemble
sans sectarisme stérile. Ici, on s'écoute. Ici, on argumente. Des ONG de tous les
pays, des militants politiques et syndicaux, des élus, des religieux engagés aux
côtés des plus pauvres se retrouvent dans les forums dans le respect de leurs
différences. Les jeunes sont massivement présents, le dialogue entre
générations fonctionne, alliant transmission et rénovation de l'action
politique. Les confédérations syndicales brésiliennes participent activement
aux débats. Des militants de la CUT (le principal syndicat brésilien) m'ont dit les
relations fraternelles nouées avec les syndicats français aux heures sombres de la
dictature militaire.
A Belém se renforcent toutes les résistances contre "l'économie de casino". "C'est bien plus sérieux que Davos", m'a dit Lula lors de notre rencontre, vendredi matin. Il m'a présenté Dilma Rousseff, qu'il soutient pour l'élection présidentielle de 2010. Jadis emprisonnée et torturée par le régime militaire, elle est aujourd'hui l'équivalent d'un Premier ministre. Dilma est une de ces femmes brésiliennes qui occupent aujourd'hui des responsabilités de premier plan. Ana Julia Carepa, par exemple, ancienne militante syndicale et gouverneure de l'Etat amazonien du Para, qui m'a longuement parlé de son action contre le capitalisme sauvage et pour une croissance durable de l'Amazonie. Lula m'a dit aussi à quel point les mouvements sociaux sont nécessaires pour rappeler les gouvernements à leurs devoirs. Ici, le dialogue est constant, même s'il n'est pas de tout repos. Ce pouvoir-là n'est pas déconnecté de la société. Et cette société sait que ses dirigeants comprennent ses difficultés et se battent, à l'écoute des citoyens, pour améliorer la vie de tous.
Ségolène
Royal